Les termes « fossurer du croc » ou » fossurer de la première » sont employés par les gens pour désigner le premier labour. Abram Chaillet, dans ses Memoyres emploie généralement le terme « fossurer du croc » de même que le receveur Peters. Etant donné que la vigne exige pour prospérer un sol qui a été défoncé, il est nécessaire de retourner la terre sur une profondeur de 20 à 30 centimètres ou davantage selon la nature du terrain. Ce travail s’effectue durant le mois de mars. Après chaque coup de croc, le vigneron d’un coup de talon efface la marque de ses pas afin de laisser une terre sans herbe dépourvue de toutes traces, signe de sa fierté.
Le fossurage permet aussi au vigneron de supprimer les racines des plantes nuisibles dont la plus fameuse est celle » que notre peuple appelle logneux ou punais, et qu’on trouve dans les auteurs sous le nom de volubilis ou grand liseron » (Roulet, 1808). Si cette plante n’est pas enlevée avec soin, elle s’enroulera autour du cep et aura tendance à l’étouffer. Grâce aux soins que le vigneron va donner à ce premier labour, dépendra non seulement la croissance mais aussi l’entretien ultérieur.
Le croc est une houe ou pioche à deux dents – dites berles – employé principalement pour le premier labour de la vigne. Par rapport au fossoir, le croc a des dents plus larges et moins longues. On trouve aujourd’hui des crocs à trois dents. Le manche qui s’adapte à ces fers peut avoir une longueur variable en fonction de la pente : plus celle-ci est forte, plus le manche est court.
Chaque forgeron de village ou taillandier forgeait des crocs particuliers reconnaissables à la façon dont les dents étaient martelées. Chacun d’entre eux est unique, témoin d’une démarche artisanale qui perdurera jusqu’à l’apparition dans notre région, au début du 20e siècle, des manufactures Fasel à Boudry et Glardon à Gorgier qui ont produit en série des crocs identiques. Ces petits fabricants ont développé des modèles pour lesquels il est facile de changer les dents usées. Mais en plus, ils ont aussi privilégié toute une réflexion sur les courbures des manches pour que ceux-ci soient les plus ergonomiques possible. Il est vrai que le labour du croc est pénible et cassait les dos même si, pour sa peine, le vigneron recevait en plus de son salaire, un pot de vin (1,92 litre) par chaque ouvrier de vigne (352m2) labouré.
Chaillet, Abraham, Memoyres de plusieurs choses remarquées Par moy, A. C. dempuits l’an 1614. Manuscrit en deux volumes, petit folio. Bibliothèque publique et universitaire de Neuchâtel. Retranscrit dans Musée neuchâtelois, 1880 et suivant.
Roulet, Jean-Antoine, Mémoire sur la culture de la vigne, Neuchâtel, 1808.