Le livre illustré par Abraham Girardet matérialise un effort pour renouveler l’enseignement de base. L’approche que propose la Nouvelle méthode d’enseigner l’A. B. C., qui paraît en 1786 au Locle, chez Samuel Girardet, se veut particulièrement didactique.
Elle vise à apprendre à lire et à écrire en sollicitant la participation active des enfants, notamment grâce aux gravures exécutées par Abraham Girardet, fils de Samuel. Ce dernier devint l’un des plus illustres graveurs neuchâtelois et fit carrière à Paris. Très jeune déjà, Abraham contribua au succès de la librairie de son père en illustrant La Bible. L’entreprise familiale était spécialisée dans les ouvrages éducatifs et les compilations de leçons d’orthographe, de règles de civilités et de contes moraux. Abraham Girardet illustre ainsi plusieurs ouvrages didactiques, dont la Nouvelle méthode d’enseigner les enfans de Paleyra (1792) et la Nouvelle méthode d’enseigner l’A. B. C. dont l’auteur ne peut être désigné avec certitude.
Dès le frontispice, les gravures défendent également une bonne tenue, signe d’une éducation de qualité. On y voit en effet un garçon et une fille dans une posture recommandée pour l’écriture. Une main leur enseigne comment tenir leur plume. Les valeurs et la morale de l’époque ne freinent pas pour autant l’innovation ; les poèmes, devinettes, images, exercices, etc., établissent des liens variés mais construits entre le monde des concepts, celui des objets et les mots de la langue. Ils apprennent à l’élève que le monde est connoté et forme une entité de connaissance organisée. Régies par la grammaire, l’orthographe, l’éveil de l’imagination par l’association du texte et de l’image, l’émulation de la mémoire visuelle et auditive, la méthode initie l’enfant aux mécanismes de la langue « presque sans maître », c’est-à-dire en autodidacte, ou sous la simple tutelle des parents.
La pensée des Lumières porte une attention toute particulière à l’éducation de l’enfant. Alors qu’au siècle précédent, l’enseignement demeurait formel et calqué sur le raisonnement des adultes, celui préconisé par les philosophes vise à comprendre et à ouvrir l’imagination enfantine. L’enseignement s’adapte aux intérêts de l’enfant. Une telle conception transforme le style des manuels scolaires, et profite aux petits libraires comme Samuel Girardet. En effet, ce dernier parie sur cette vision moderniste de l’enseignement ; il édite les nouvelles méthodes, illustrées par des gravures divertissantes, comme en témoigne le long titre : Nouvelle méthode d’enseigner l’A. B. C. et d’épeller aux enfans en les amusant par des figures agréables & propres à leur faire des progres dans la lecture & l’écriture presque sans maître. Ici, le divertissement habille la transmission très structurée du contenu.
À Neuchâtel, la méthode de Girardet fut très à la mode. D’ailleurs, cette région compta un grand nombre de précepteurs et gouvernantes, qui furent très prisés dans toute l’Europe. À la fin du 18e siècle, la pédagogie helvétique connaît un véritable âge d’or avec Johann Heinrich Pestalozzi (1746-1827).
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