La paire de manchettes en dentelle représentée ici est doublement significative : elle évoque d’une part un artisanat florissant dans la principauté et d’autre part les liens ténus que cette dernière a entretenus avec ses lointains monarques. Ces manchettes ont été confectionnées pour être offertes à l’épouse de Frédéric-Guillaume IV, Élisabeth, lors de leur visite à Neuchâtel en 1842. Les contacts directs entre les Neuchâtelois et leurs princes sont restés rares dans la principauté, aussi bien pour des raisons géographiques que par un certain manque d’intérêt des Hohenzollern pour leur terre neuchâteloise. Néanmoins, la visite de 1842 est restée dans les mémoires. Il suffit de constater le faste mis en place par les Pourtalès-Castellane pour recevoir le couple royal.
Ces manchettes ne sont pas l’unique témoignage de cadeaux confectionnés pour un monarque ou son épouse. D’autres pièces de la riche collection de dentelles du Musée de Valangin attestent ce statut. Marque de respect et de lien, fierté de montrer au souverain ce que le pays fait de mieux sont autant d’explications d’un tel geste.
Les chevrons de Neuchâtel et l’aigle de Prusse figurent au centre de chaque manchette, illustrant bien la dimension officielle et personnalisée de ce cadeau.
Une petite notice, agrafée à l’objet, précise : « une paire de poignets de dentelle du Val-de-Travers pour la Reine de Prusse en 1842 déposée chez Madame DuPasquier pasteur à Môtiers Travers. Hérités par Louise de Reynier DuPasquier. L’original avait été donné à la Reine ».
La dentelle neuchâteloise jouit d’une renommée très étendue et répond à une véritable demande de la mode du moment. Rubans, jabots, manchettes et châles en tout genre sont très en vogue. Cette mode des accessoires explique la multitude de métiers du vêtement durant le 18e siècle ; bonnetiers, boutonniers, passementiers, galonniers, dentellières, brodeurs, gantiers et boursiers fournissent autant de petites mains agiles qui vont créer des merveilles au bénéfice de gens aisés qui vouent un véritable culte à l’apparence. Durant deux siècles, la dentellerie neuchâteloise occupera la première place dans le monde de l’industrie du Pays de Neuchâtel ; elle dépasse même l’horlogerie jusque dans les années 1830, quand la dentellerie mécanique venue d’Angleterre cause le déclin de la dentelle au fuseau. Le Val-de-Travers était le noyau de fabrication de la dentellerie de notre canton ; il s’agissait d’un travail domestique dont l’apprentissage s’effectuait souvent en famille. Les enfants apprenaient très tôt à manier les fuseaux, et c’étaient ensuite les femmes qui s’adonnaient à cet artisanat de grande qualité.
Nous ne savons pas si la reine Élisabeth de Prusse a porté ces manchettes ne serait-ce qu’une seule fois dans son existence. Cette pièce subsiste néanmoins comme un témoignage intéressant de l’attachement du patriciat neuchâtelois au couple princier. Ces délicates dentelles, nées à l’ombre d’un rural, ont peut-être fait sensation dans les riches salons de Berlin ou de Potsdam.
Montandon, Marie-Louise, Dentelles de Neuchâtel, de la production à l’exportation, Auvernier & Hauterive : Éditions Le Roset & Éditions Gilles Attinger, 2007.
Roche, Daniel, La culture des apparences, une histoire du vêtement XVIIe – XVIIIe siècle, Paris : Librairie Arthème Fayard, 1989.
Maëlle Bader, « La dentelle tient une grande place dans l’économie neuchâteloise », ImagesdupatrimoiNE.