Longtemps associé à la Fabrique-Neuve de Cortaillod, l’indienneur Jean-Jacques Bovet (1728-1793) décide en 1782 de racheter la fabrique de Boudry Vauvillers, qui sera ensuite gérée par ses descendants jusqu’en 1874. Cette entreprise travaille dans un premier temps à façon pour la société « Pourtalès & Cie », puis commercialise ensuite sa propre production par le biais de succursales européennes. Le succès économique rencontré par Vauvillers dans la première moitié du 19e siècle découle de l’audace entrepreneuriale de Claude-Jean-Jacques II Bovet (1783-1851), petit-fils de Jean-Jacques. Tandis que ses concurrents neuchâtelois demeurent frileux à l’adoption de l’automation, Bovet acquièrt dès 1810 des rouleaux d’impression. Cet investissement considérable lui permet d’accroître rapidement son rendement tout en minimisant ses frais de production. La correspondance commerciale de la manufacture démontre en outre que les Bovet déclinent très habilement leurs indiennes en fonction des différents marchés visés et des modes qui s’y développent. De la sorte, afin de conquérir le marché génois, la fabrique neuchâteloise se lance dans la production de mezzari.
Amples étoffes très en vogue auprès des Génoises, les mezzari se portent fixés sur la tête à l’aide d’une broche et rabattus sur le devant du corps. Leurs grandes dimensions permettent ainsi aux femmes de se draper élégamment. Le thème de l’arbre de vie, repris des palempores indiens quoiqu’occidentalisé, orne usuellement ces tissus. Les frères Giovanni et Michele Speich, Glaronnais installés dans la région génoise dès 1787, dominent la production locale de mezzari. Leurs indiennes se caractérisent « par des décors associant des ornements inspirés par l’Orient à des éléments typiquement suisses » (Bonzon, 2002, p. 11), telles des vaches ou encore des chèvres.
Dans ce contexte, l’indienne dite « à l’arbre de vie » du Musée d’art et d’histoire de Neuchâtel soulève certaines interrogations. Si Dorette Berthoud et Maurice Evard la considèrent comme émanant de la fabrique de Vauvillers, des indiennes parfaitement similaires étaient produites par les Speich au début du 19e siècle sous le nom de mezzaro delle rose. Il en reste différents exemplaires à Gênes, et plusieurs dessins préparatoires pour ce mezzaro sont conservés dans les collections de la capitale ligurienne. Malgré ces éléments, il ne demeure pas moins possible que le succès rencontré à Gênes par ce motif précis ait pu induire sa copie en terres neuchâteloises. L’absence de contremarque sur l’exemplaire du Musée d’art et d’histoire de Neuchâtel (un deuxième exemplaire est conservé au Musée militaire et des toiles peintes à Colombier ) n’autorise aucune position catégorique. Au final, ce cas souligne magnifiquement les échanges commerciaux établis entre la Suisse et l’Italie au début du 19e siècle, tout en témoignant de la circulation des motifs au niveau mondial et continental.
Bellezza, Rosina, Margherita, Cataldi Gallo, Marzia, Cotoni stampati e mezzari dalle Indie all’Europa, Gênes : Sagep Editrice, 1993.
Berthoud, Dorette, Les indiennes neuchâteloises, Boudry : À la Baconnière, 1951.
Bonzon, Gaël, « La production des indiennes à Genève et en Suisse », Tracht und Brauch = Costumes et coutumes = Costumi ed usanze, n°3, 2002, p. 6-11.
Cataldi Gallo Marzia (dir.), Mezzari. Tra Oriente e Occidente, Gênes : Sagep Editrice, 1988.
Evard, Maurice, « Toiles peintes neuchâteloises, techniques, commerce et délocalisation », Nouvelle revue neuchâteloise, n°89-90, 2006.
Février, François, Contribution à l’étude de la fin d’une industrie neuchâteloise (les dernières années de la fabrique d’indiennes de Vauvilliers à Boudry 1851-1855) d’après la correspondance avec l’Italie et le Levant et le livre des entrées et sorties des marchandises, mémoire de licence non publié, Université de Neuchâtel, Faculté des Lettres, Institut d’Histoire, 1974.
Jean-Richard, Anne, Kattundrucke der Schweiz im 18. Jahrhundert : ihre Vorläufer, orientalische und europäische Techniken, Zeugdruck-Manufakturen, die Weiterentwicklung, Bâle : Basler Druck- und Verlagsanstalt, 1968.
Marmonier, Stéphanie, Riboreau, Brigitte, « Mezzaro del Castagno », La Revue des Musées de France – Revue du Louvre, n°2, 2008, p. 113.
Spirito, Orietta, « Au sujet de Mezzari… », Bulletin de la Société Industrielle de Mulhouse, n°3, 1964, p. 24-33.
Dossier d’œuvre conservé au département des arts appliqués du Musée d’art et d’histoire de Neuchâtel.