Les « massacres hamidiens », perpétrés par le sultan Abdul-Hamid II contre les Arméniens de l’Empire ottoman (1894-1896), provoquent en Occident de fortes réactions d’indignation. Dès 1894 la presse helvétique et les journaux religieux s’emparent du sujet et relaient les premiers appels aux dons en faveur des victimes. Ainsi que cela se passe ailleurs en Suisse et à l’étranger, un dispositif d’aide aux Arméniens voit le jour à Neuchâtel en 1896 sous l’impulsion du pasteur Edouard Rosselet (1845-1905), membre de l’Église indépendante de Neuchâtel. L’œuvre prospère ensuite par le biais d’un autre Neuchâtelois, le professeur en théologie et pasteur Georges Godet (1845-1907) qui prend les rênes d’un comité d’action nouvellement constitué à Neuchâtel. En avril 1896, le même Godet publie une brochure sur ces massacres, intitulée Les souffrances de l’Arménie.
Les souffrances de l’Arménie est un livret d’une soixantaine de pages, publié par la librairie Attinger frères à Neuchâtel. S’il n’est pas le premier ouvrage à diffuser des nouvelles concernant ces massacres en Arménie, il s’agit de la toute première brochure philarménienne publiée en Suisse. Celle-ci jouira d’un succès tel qu’elle sera rééditée quatre fois, l’année de sa parution. Cet ouvrage présente les populations concernées et le contexte géopolitique dans l’Empire ottoman pour le public suisse, qu’il s’agissait de mobiliser pour cette cause humanitaire.
Dans la foulée de ce mouvement d’indignation, d’action et de récolte de fonds, le comité de Neuchâtel prend en 1896 la tête de la Conférence des Comités suisses de secours aux Arméniens, et Georges Godet est propulsé à la présidence de l’Œuvre suisse de secours aux Arméniens jusqu’en 1907. Si dans le premier quart du 20e siècle Neuchâtel perd son rôle central dans la coordination de l’Œuvre suisse au profit de Genève, elle conserve toutefois des responsabilités notables dans l’organisation de conférences ou de prêches et dans la publication de tracts ou de brochures militantes. A Neuchâtel, l’implication philarménienne est tout particulièrement le fruit du milieu évangélique et de l’Eglise indépendante, créée en 1873, dont est membre Georges Godet. Dans son livret comme dans les discours prononcés par les prédicateurs, le retour aux textes bibliques, la piété, l’égard envers son prochain et la logique fraternelle de l’entraide, visent à matérialiser l’effort missionnaire. Un effort qui, dans l’Empire ottoman, repose à la fois sur la sauvegarde de la communauté arménienne, sur l’éducation et sur le prosélytisme. Ces éléments se calquent d’ailleurs sur le Réveil religieux qui s’opère en Suisse dès la seconde moitié du 19e jusqu’au début du 20e siècle, par le biais des églises évangéliques.
Fonds d’archives à la Bibliothèque publique et universitaire de Neuchâtel : Ms 2116.
Girardier, Sandrine, « Neuchâtel philarménienne : réactions neuchâteloises face aux massacres des Arméniens de 1894 à 1896 », Revue historique neuchâteloise, 2009, no. 3, pp. 177-200.
Kévorkian, Raymond, Le génocide des Arméniens, Paris: Odile Jacob, 2006.
Kieser, Hans-Lukas (dir.), Die armenische Frage und die Schweiz (1896-1923) = La question arménienne et la Suisse (1896-1923), Zurich: Chronos, 1999.
Gottfried Hammann, « Georges Edouard Godet », in : Dictionnaire historique de la Suisse (DHS), version du 5.10.2013.
Perret, Noëlle-Laetitia, Croyant et citoyen dans un Etat moderne. La douloureuse négociation du statut des églises issues de la Réforme à Neuchâtel. 1848-1943, Neuchâtel : Editions H. Messeiller S.A., 2006.