Déjà attestée au début du 17e siècle dans la principauté, la dentellerie se transforme en une véritable industrie durant le siècle suivant. Elle se développe principalement dans les Montagnes et les Vallées. Neuchâtel devient le plus important centre de production de Suisse. La fabrique est organisée en production dispersée : les pièces de dentelle sont faites à domicile par des ouvrières à côté de leurs tâches domestiques et agricoles. Les produits sont vendus par des négociants spécialisés, disposant de réseaux commerciaux plus ou moins lointains. Le principal bassin de diffusion des dentelles neuchâteloises s’étend du Midi de la France et l’Italie à la Suisse orientale et l’Allemagne, puis outre-mer. Ce commerce se poursuivra parallèlement à celui de l’horlogerie, branche en plein essor, à laquelle il aura incontestablement ouvert des voies. Il déclinera sensiblement dès les années 1820 pour disparaître presque complètement au tournant du 20e siècle.
Ce carnet de 70 pages d’un solide papier bleu à couverture cartonnée gris beige provient de la maison de commerce Bugnon frères de Fleurier. Il contient les copies des lettres et notes envoyées par les commis de la maison dans le sud de la France et de leur succursale de Lyon. Les échantillons de dentelle joints aux courriers sont collés en regard des remarques. De l’automne 1822 au printemps 1828 avec des lacunes pour 1825 et 1827 ces renseignements arrivent au moment de la préparation des foires d’automne et de printemps. Outre leurs prix de vente dont l’importance est primordiale, l’appréciation finale des modèles est issue de critères esthétiques, tels que l’organisation des motifs ou la finesse de la maille, pondérés par une connaissance des modes et des goûts locaux. On apprend, entre autres, que des dentelles ne convenant par pour l’Albigeois pourront encore être vendues à Lyon. Plusieurs échantillons jugés intéressants et venant de maisons concurrentes sont aussi fournis.
Les recensements de la population de la principauté de Neuchâtel montrent qu’entre 1802 et 1806, près de 45 % des personnes occupées à la dentellerie viennent de la juridiction du Val-de-Travers. On dénombre dans cette région une vingtaine de négoces familiaux. Durant quatre générations, la famille Bugnon, active dans ce domaine depuis 1766, fait partie de ceux-ci. Ce carnet est un outil de travail à l’usage de la maison mère de Fleurier. Le voyageur en contact direct avec la clientèle est le mieux à même d’en apprécier les exigences. La volonté de cerner chaque menu détail pouvant influencer le succès de tel genre ou au contraire son manque d’attrait et le souci constant de maintenir des prix concurrentiels trahissent déjà l’affaiblissement du marché.
Henry, Philippe, « Une mutation de l’économie à l’industrie », in : Histoire du Pays de Neuchâtel, tome 2, Hauterive : Éditions Gilles Attinger, 1991.
Montandon, Marie-Louise, Dentelles de Neuchâtel, de la production à l’exportation, Auvernier : Éd. Le Roset ; Hauterive : Éd. Gilles Attinger, 2007.
Robert, Sylvia, « L’industrie dentellière dans les Montagnes neuchâteloises aux XVIIIe et XIXe siècles ; La comptabilité d’un négociant en dentelles de Couvet, le major Daniel-Henri Dubied », Musée neuchâtelois, 1988, p. 69-95.