L’entreprise chocolatière Suchard est fondée à Serrières en 1826 par Philippe Suchard, avant d’être reprise par son gendre Carl Russ. A la mort de ce dernier en 1925, son fils Willy prend la tête de la fabrique dont il devient directeur. Mais Willy Russ est amateur d’art et n’a que peu de goût pour l’industrie. Il se constitue une collection de tableaux figuratifs suisses et français, comportant plusieurs artistes neuchâtelois. Le noyau central de sa collection est toutefois constitué d’œuvres de Ferdinand Hodler qui exerce dès 1910 sur Willy Russ une réelle fascination. Les deux hommes se lient d’amitié, Hodler servant de mentor à Willy Russ dans le choix de ses tableaux. En 1911, Willy Russ demande son portrait au peintre. Six ans plus tard, Hodler réalise aussi celui de sa femme.
Willy Russ est représenté par Hodler frontalement, assis, les deux mains posées symétriquement sur ses genoux dans une attitude assurée. Il porte un complet gris bleu sur une chemise blanche à col bleue, un gilet clair et une cravate. Le front dégarni contraste avec le bas du visage orné d’une moustache et d’une barbe. Sa silhouette se détache sur un fond orangé lumineux.
Ayant grandi dans l’ombre d’un père qui dirige son entreprise d’une main de fer, Willy reprend contre son gré l’entreprise chocolatière. Se définissant lui-même comme « un amateur d’art qui fabrique du chocolat dans ses moments de loisirs », il quitte bien vite l’industrie en vendant, en 1930, toutes ses actions de manière frauduleuse, le bénéfice de l’opération lui servant notamment à l’achat de tableaux. Comme Carl dans l’industrie, Willy devient un décideur sans faille dans le domaine de l’art, sachant déceler rapidement et sûrement les œuvres intéressantes. Obtenir son portrait de son peintre favori crée un lien indéfectible entre l’artiste et le collectionneur. Transformé par le regard de l’artiste, Willy Russ peut ainsi figurer en tant que portrait au sein même de sa collection.
Griener, Pascal, Quellet-Soguel, Nicole, « Fin de partie, Willy Russ-Young : le colltectionnisme contre l’industrie », in : Le monde selon Suchard, Hauterive : Ed. Gilles Attinger, 2009, pp. 126-141.
Quellet-Soguel, Nicole, « La Collection Willy Russ (1877-1959) : Hodler et les figuratifs classiques », in : Die Kunst zu sammeln. Schweizer Kunstsammlungen seit 1848, Zurich : Schweizerisches Institut für Kunstwissenschaft, 1998, pp. 369-376.