Profitant de l’interdiction, en 1685, de la production et de l’importation des indiennes en France, Neuchâtel développe ce commerce. En 1759, cette interdiction est levée et les indienneurs suisses et neuchâtelois profitent de leur avance technique et commerciale. Afin de se rapprocher des marchés coloniaux et de traite, certains de ces indienneurs s’installent sur les côtes atlantiques.
Ferdinand Petitpierre et son frère Aristide, originaires de Couvet, créent vers 1770 une fabrique d’indiennes au Pont de Vertais, à proximité de Nantes. Leur manufacture croit rapidement et devient la plus importante de la région à la fin du 18e siècle. Leurs quelques 1500 ouvriers produisent annuellement jusqu’à 26’000 toiles, soit un quart de la production nantaise. Une grande partie de ces indiennes est destinée au commerce triangulaire. Les indiennes sont vendues aux armateurs nantais qui pratiquent la traite négrière. Ces derniers se rendent dans les comptoirs africains où ils échangent des produits manufacturés (dont les indiennes qui représentent entre 60 et 80% de l’ensemble) contre des esclaves. Ils traversent ensuite l’Atlantique où les esclaves sont vendus aux planteurs. Le navire revient enfin en Europe chargé de produits des colonies (sucres, etc.). La manufacture Petitpierre conçoit des motifs d’indiennes spécialement adaptés à la clientèle africaine.
Afin de pouvoir reproduire le motif en cas de perte de la matrice, une empreinte est réalisée sur papier. Les différentes empreintes sont ensuite reliées en cahier. Destinés aux chefs africains qui pratiquent la vente des esclaves, les motifs des indiennes de traite présentent souvent des scènes ou des animaux évoquant l’Afrique centrale. L’exemple présenté ici montre quatre animaux typiquement africains : un éléphant, une gazelle, un lion et un rhinocéros. Des motifs géométriques et floraux embellissent le reste de la feuille.
A côté des Petitpierre, d’autres familles suisses s’installent elles aussi à Nantes : Gorgerat (NE), Favre (NE), Rother (NE), Kuster (BS), Pelloutier (BS), Burckardt (BS), Simon & Roques (BS) occupent une place importante sur le marché nantais des indiennes, contribuant à faire de Nantes le troisième centre d’indiennage français. En 1785, la ville produit 112’000 pièces et emploie 4300 ouvriers. Certains indienneurs (dont les Petitpierre) participent directement à l’armement des navires de traite.
L’arrêt de la traite en 1794, ainsi que les guerres de Vendée provoquent le déclin des indienneurs nantais. La plupart des entreprises suisses et neuchâteloises quittent Nantes, à l’exception de la famille Favre. Malgré la reprise de la traite en 1815, leur manufacture d’indiennes ne connait plus le même succès.
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Collection du Château des ducs de Bretagne, Nantes.