En 1806, Napoléon 1er, en guerre contre la Grande-Bretagne, doit renoncer à envahir l’Angleterre. En contrepartie, il met en œuvre un vaste blocus continental pour paralyser l’économie anglaise et pousser ce pays à la banqueroute. La France interdit tout échange commercial avec les îles britanniques et confisque les marchandises provenant d’Angleterre. La contrebande permet néanmoins d’introduire sur le continent des marchandises anglaises qui se vendent notamment à Francfort et à Bâle.
Le 25 février 1806, Frédéric-Guillaume III accepte de céder Neuchâtel à Napoléon, en l’échangeant contre le Hanovre. Le maréchal Alexandre Berthier devient prince de Neuchâtel. A peine cette cession est-elle connue que plusieurs négociants font venir à Neuchâtel de grande quantité de marchandises anglaises, dans l’espoir de les faire entrer plus facilement en France. Napoléon ordonne alors à Berthier de faire confisquer toutes les marchandises anglaises se trouvant dans la Principauté : draps, pièces de velours, toiles de coton destinées à l’indiennage sont séquestrés. Une gravure satirique est brièvement publiée pour dénoncer cet épisode
Le graveur Abram-Louis Girardet a représenté de manière satirique le moment de la vente aux enchères des marchandises, dans la cour de l’Hôpital des Bourgeois, en face de l’hôtel de ville. La représentation un peu fantaisiste du bâtiment à l’arrière-plan empêche de reconnaitre formellement les lieux. La scène est peuplée de trente personnages, dont le dessin n’est pas achevé : les corps ne sont dessinés que sommairement, certaines têtes ne sont qu’esquissées.
Si toutes les figures ne sont pas identifiées, on peut mettre un nom sur plusieurs personnages. On reconnait ainsi Robbe, receveur des douanes, assis tout à gauche sur des ballots. Hallard, commissaire de Napoléon 1er, est identifiable à ses lunettes et au texte figurant au-dessus de sa tête : « Personne ne dit mot ? … ». Handelle, négociant de Paris, porte avec l’aide d’un douanier, un lourd colis marqué « Lot 44 ». Un autre négociant, Madeleine, provenant de Lyon, se trouve assis entre deux messieurs coiffés de hauts-de-forme. Tout à droite, vêtu d’une redingote, le commissaire Alard, expert du Ministère de l’Intérieur, est chargé d’estimer les marchandises promises à la vente. Au centre, un homme chauve surmonté d’un texte annonçant « je suis propriétaire » présente quelques ressemblances avec Jacques-Louis de Pourtalès, bien que son identification ne soit pas certaine.
Les autorités neuchâteloises sont rapidement informées de l’existence de cette estampe. Elles en avertissent le général Oudinot qui ordonne, le 18 août 1806, qu’on en recherche immédiatement l’auteur. Abram-Louis Girardet, vite identifié, avoue sans difficultés avoir produit la gravure incriminée. Il est aussitôt arrêté, les exemplaires restant de l’estampe sont saisis et séquestrés. Après avoir menacé d’emprisonner l’artiste à Paris, Oudinot le relâche finalement le lendemain. La rapidité de l’intervention des autorités explique que l’artiste n’ait pas eu le temps de terminer cette planche. Du fait de sa saisie, elle est aujourd’hui assez rare.
Courvoisier, Jean, « Neuchâtel sous l’occupation française, A propos de la vente des marchandises anglaises saisies à Neuchâtel en 1806 », Musée neuchâtelois, 1956, pp. 281-284.
Courvoisier, Jean, Le maréchal Berthier et sa principauté de Neuchâtel (1806-1814), Neuchâtel : Société d’histoire et d’archéologie, 1959, pp 42, 46-58.
Bonhôte, J.H., « Lettres de Napoléon 1er concernant Neuchâtel », Musée neuchâtelois, 1865, pp. 121-130.