Dans l’entre-deux-guerres, le bétail des Montagnes se nourrit encore essentiellement des produits du domaine. Il paît dans les pâturages durant cinq mois environ et mange le foin tiré des prés le reste de l’année, quand il séjourne à l’étable.
La récolte et la manutention du foin exigent une débauche d’énergie musculaire. On peut compter depuis la fin du 19e siècle sur des machines attelées au cheval, telles que la faucheuse, la faneuse et la râteleuse, mais le travail à la faux et à la fourche occupe toujours une place importante. Quant aux engins motorisés, ils restent assez rares.
La fenaison est un épisode critique car il faut profiter au maximum des rares journées de temps sec pour récolter un foin de qualité. Toute la famille est mobilisée et, par surcroît, l’agriculteur fait souvent appel à des travailleurs saisonniers. Le café des Faucheurs, à La Chaux-de-Fonds, perpétue le souvenir de cette main-d’œuvre temporaire, composée principalement de paysans bernois et fribourgeois ayant achevé leur propre fenaison.
Par une belle matinée de juin ou de juillet, trois faucheurs, dont l’un porte le « bredzon », la veste traditionnelle des vachers, progressent de conserve. La scène a pour cadre le vallon des Roulet, qui fait partie de la commune de La Sagne. Le Mont Jacques barre l’horizon au nord.
Les hommes travaillent depuis l’aube pour profiter de la fraîcheur et de la rosée. Bien que la matinée soit avancée, ils répètent inlassablement les mêmes gestes exténuants. En progressant parallèlement et de manière échelonnée, chacun d’eux laisse derrière lui une bande rase, ou « sevée », et à sa gauche un andain d’herbe couchée.
A droite, un peu plus haut, on aperçoit une partie d’un pré fauché la veille ou l’avant-veille, dont l’herbe a passé la nuit sous forme de tas allongé afin de réduire l’imprégnation par la rosée. Elle sera bientôt étalée au soleil pour parfaire le séchage.
Véritable hymne à la paysannerie traditionnelle et à l’effort de l’homme, le cliché n’est pas sans évoquer une sorte de chorégraphie : les acteurs évoluent à l’unisson, faisant corps avec l’outil de manière à faire danser la lame sans accrochage.
Plus prosaïquement, le tableau illustre l’impact de l’homme, qui, en dépit de sa petite taille à l’échelle des vallonnements du haut Jura, est parvenu à façonner le paysage végétal en fonction de ses besoins. En effet, les prés et les pâturages ont été créés au détriment de la forêt originelle par des générations de paysans à la force du poignet et avec l’aide de la dent du bétail.
Kaufmann, Francis, Changement d’ère – Cent ans d’agriculture dans l’Arc jurassien par l’image, Le Locle : Ed. G d’Encre, 2002.