La fontaine ou couesteuse, comme on la nomme en Suisse romande, est un objet typique accompagnant la dégustation d’absinthe. Elle est disposée au centre de la table, aussi bien dans les cafés, les restaurants que dans les salles à manger bourgeoises. Sous chacun de ses robinets – il peut y en avoir deux, quatre ou six – on glisse un verre contenant de l’absinthe, surmonté de la traditionnelle cuillère percée où repose un morceau de sucre. De la panse de la fontaine, dans laquelle surnagent quelques blocs de glace, l’eau coule fraîche et limpide à travers le sucre qui fond tranquillement. Au moment choisi par le consommateur, on ferme le petit robinet et l’absinthe est prête à être dégustée.
La plupart de ces fontaines présentent un pied d’étain ou de fer, plus rarement de laiton, et un réservoir en verre.
Celles réalisées en céramique sont beaucoup plus rares. Le musée de l’Ariana à Genève en conserve trois belles, de faïence fine. Fabriquées à Carouge entre 1880 et 1890, elles mesurent 49, 68 et 71 cm.
Cette grande fontaine dite « à absinthe » (cette dénomination peut prêter à confusion puisqu’on ne remplit pas le récipient de Fée verte mais d’eau fraîche) est fabriquée en céramique. De couleur verte, elle est frappée de l’inscription « Café du Raisin », l’établissement ayant commandé cet objet à une poterie, sans doute Knecht à Ferney. Il y avait un Café du Raisin renommé à Lausanne. S’agit-il de celui-ci ou d’un autre, à Genève? Sous le couvercle, inséré dans la partie supérieure, un récipient pouvait contenir de la glace et refroidir l’eau qui s’écoule par les robinets disposés tout autour de l’objet.
Les fontaines dites « à absinthe » sont apparues assez tardivement dans l’histoire du rituel absinthique, vers la fin du 19e siècle. On n’en découvre que rarement dans les innombrables caricatures, dessins, peintures, cartes postales qui dressent une riche iconographie de la Fée verte. Seuls le pichet ou la carafe, brandis très haut au-dessus du verre pour mieux troubler et oxygéner la Verte, ont inspiré les artistes. On voit par exemple, dans une caricature d’un numéro du Rire de 1901, un consommateur monter sur une chaise rehaussée de trois énormes dictionnaires pour verser le filet d’eau qui lui permettra de réussir sa Bleue.
Depuis la légalisation de l’absinthe en 2005, les fontaines reviennent en force sur le marché : répliques des anciennes ou œuvres originales d’artisans inventifs, elles rappellent la Belle époque.
Clément, Alain, La Poterie de Ferney, Saint-Gingolph : Cabédita, 2000.
Delachaux, Pierre-André, « Les années vertes ou la fée au fond du verre », Nouvelle revue neuchâteloise, no 54, 1997.
Marie-Claude Delahaye, L’absinthe : histoire de la fée verte, Paris : Berger-Levrault, 1983.