Le service de Montmollin est intimement lié à la grande histoire politique de Neuchâtel. Ce majestueux cadeau a été commandé par la Ville de Neuchâtel au bénéfice d’un grand homme politique du moment : Jean-Frédéric de Montmollin est alors conseiller d’État et Maire de Valangin, charges qu’il reprend à la mort de son père. Il est aussi le gendre de l’indienneur Jean-Jacques Deluze, et un grand ami de David de Pury. À partir de 1781, il va correspondre avec de Pury, alors banquier à Lisbonne. Ce dernier va léguer sa considérable fortune à la Ville et Bourgeoisie de Neuchâtel, et Jean-Frédéric de Montmollin va jouer un rôle déterminant dans la gestion de sa donation. Celle-ci permettra à la ville de se doter de bâtiments que l’on peut encore admirer aujourd’hui, dont les plus majestueux demeurent l’hôtel de ville et le Collège latin. De Montmollin a fait preuve d’un véritable talent de gestionnaire d’une fortune où le numéraire restait rare, consistant principalement en biens fonciers.
Ce service d’argenterie, qui a coûté un peu plus de six mille livres à la Ville, est à l’image de son siècle, où les arts de la table connaissent un très grand raffinement. Un grand nombre d’ouvrages voient le jour sur l’art de dresser une table, où l’on peut découvrir des élévations de Buffets et des plans de table où le placement des nombreux plats est conçu dans une parfaite symétrie. Ce sont les règles du service « à la française » qui imposent que l’on dispose tous les mets – sucrés et salés – sur la table, « toutes les humeurs devant être satisfaites » (Krikorian, 2011, p. 79). Cela explique que le service de Montmollin comporte six sortes de plats différents, sans compter les saucières, huiliers et autres chandeliers. C’est un objet de prestige qui célèbre l’art de la table. Les orfèvres du temps vont faire preuve d’une créativité spectaculaire pour confectionner écuelles, soupières, saucières, coquetiers, moutardiers et autres accessoires pour honorer la gastronomie.
Le service de Montmollin était composé de 32 pièces d’argent dont 25 sont parvenues jusqu’à nous. Il compte 14 plats de quatre tailles différentes ; quatre jattes quadrangulaires ; un plateau tripode aux pieds galbés ; une paire de saucières comportant deux becs opposés et deux anses en harpe ; une paire d’huiliers composée d’un plateau ovale et de deux flacons en cristal taillé ; une paire de chandeliers reposant sur un pied circulaire et comportant deux bras de lumière en « S ». Toutes les pièces de cet ensemble portent les armoiries de la ville de Neuchâtel, une aigle chevronnée, ainsi que le poinçon de l’orfèvre.
Ce cadeau de reconnaissance ne symbolise pas seulement un cadeau à la mode du moment, mais un geste politique important. Il a une grande portée visuelle. La Ville et Bourgeoisie de Neuchâtel fait tout naturellement appel à des orfèvres de renom dans la région. Charles-Louis-Guillaume et Samuel Bonvêpre sont bourgeois de Neuchâtel ; le second est même « Maître Bourgeois ». On leur doit des joyaux dans diverses paroisses, cours de justice, nobles compagnies ainsi que chez un bon nombre de particuliers. L’ampleur de ce présent est à la fois à la hauteur de Jean-Frédéric de Montmollin et d’une ville des Lumières qui soigne particulièrement son image. La générosité de David de Pury, pour une large part, a permis ce geste.
Enfin, ce service en argent thématise aussi la notion de « salaire » au 18e siècle. D’une part, on pratiquait beaucoup le troc ; des objets servaient souvent de paiement à la place de liquidités. D’autre part, il aurait paru assez indélicat et vulgaire de verser de l’argent sonnant et trébuchant à un aristocrate, d’autant plus à un conseiller d’État aussi illustre que Jean-Frédéric de Montmollin. Offrir un cadeau à un tel personnage constitue, finalement, un paiement élégant.
Gruber, Alain, L’argenterie de maison du XVIe au XIXe siècle, Fribourg : Office du Livre, 1982.
Krikorian, Sandrine, Les rois à table, iconographie, gastronomie et pratiques des repas officiels de Louis XIII à Louis XVI, Aix-en-Provence : Presses universitaires de Provence, 2011.
Orfèvrerie neuchâteloise du XVIIe au XXe siècle, Catalogue d’exposition, Neuchâtel : Musée d’art et d’histoire, 1993.
Volorio Perriard, Myriam, « Jean-Frédéric de Montmollin », in : Dictionnaire historique de la Suisse (DHS), consulté le 25 avril 2012.
Dossier d’œuvre conservé au département des arts appliqués du Musée d’art et d’histoire de Neuchâtel.