Auteur du « best-seller » La Nouvelle Héloïse paru en 1761, Jean-Jacques Rousseau, arrivé le 10 juillet 1762 au Val-de-Travers, est alors accueilli en vedette. Il est l’hôte de Madame Boy de la Tour dans la maison située à l’angle de la Grande-Rue et de la route de Fleurier. Fait membre d’honneur de la compagnie des Mousquetaires de Môtiers, il offre en juin 1764 des plats d’étain fin cristallin à titre de remerciement, mais non sans quelques tiraillements. On notera que l’année suivante, Rousseau est aussi intégré à une Abbaye des Arquebusiers de Couvet après sa réception comme communier.
Le plat d’étain aux reflets gris bleuâtres du Musée de Môtiers serait banal s’il ne comportait en capitales et petites capitales l’inscription gravée en cercle sous la bordure : « Donne par M.R I · I · Rousseau 1764 », détail qui en fait tout l’intérêt en attestant la célébrité du philosophe en exil. Il porte au verso les poinçons de Josué Perrin (1712-1762), d’une des dynasties de potiers d’étain de Neuchâtel : « Fin/Estain/Cristallin/IP » et « PERRIN » avec l’Aigle de la Principauté. C’est par un intermédiaire « ami » que Rousseau en a fait l’acquisition dans le commerce en même temps qu’un second – sinon un deuxième – au marli découpé en 12 parties mais portant une inscription exactement similaire. Visible à Môtiers le 4 juillet 1881, ce dernier se trouve actuellement en main privée mais avait été réexposé exceptionnellement en 1978 au Musée. Les deux plats avaient également été présentés ensemble à Genève en 1912.
La production d’objets en étain jouait un rôle social car ils étaient décernés comme prix dans les sociétés de tir. Issues du Moyen Age, ces dernières intervenaient dans la vie communautaire locale. En dépit des tensions confessionnelles ou des mandats sur les mœurs, leurs fêtes paramilitaires étaient l’occasion d’inviter des hôtes étrangers, contribuant à renforcer les liens confédéraux. Au-delà de cet usage particulier, ces objets constituent un témoignage de la vie domestique au XVIIIe siècle : avant la porcelaine, toutes sortes d’ustensiles de ménage étaient fabriqués en ce métal facile à travailler et assez bon marché. Sauf chez les plus pauvres qui se contentaient de faïence, « Partout l’étain régnait en maître. » (Godet 1889 : 79)
Barrelet Louis. 1974. « Un plat d’étain de Jean-Jacques Rousseau et ses possesseurs successifs (familles Besancenet et Barrelet, de Boveresse ». Annuaire de la Société suisse d’études généalogiques : 126-128.
[Berthoud Fritz]. 1882. « Deux lettres inédites de Jean-Jacques Rousseau. 1764 ». Musée Neuchâtelois : 5-7.
Courvoisier Jean. 1972. « Trois générations de potiers d’étain et leur clientèle ». Musée Neuchâtelois : 92-108.
Godet Alfred. 1889. « Nos industries neuchâteloises ». Musée Neuchâtelois : 77-88 (voir page 83).
Godet Philippe. 1881. « La fête de Môtiers ». Musée Neuchâtelois : 177-185 (voir page 181).
Loew Fernand. 1970. « Etains et potiers d’étain neuchâtelois ». Musée neuchâtelois : 125-136.
Perrin Louis. 1882. « Môtiers-Travers ». Musée Neuchâtelois : 71-79 (voir page 77, note).
Reutter Louis. 1919. « Potiers d’étain neuchâtelois ». Musée Neuchâtelois : 137-178 (voir pages 143 et 160).
Rousseau Jean-Jacques. 2012. Lettres. Champion-Slatkine : Paris-Genève : vol. XX, N° 1152 et 1156.