La ferme joue un rôle important dans l’essor de l’industrie dans les Montagnes neuchâteloises et le Jura. Le paysan et sa famille en effet, à côté de leur activité traditionnelle, occupent leurs longs et rigoureux hivers au développement de divers artisanats : forge, serrurerie, armurerie, etc. A partir du XVIIe siècle, la dentelle puis l’horlogerie viennent s’ajouter à cette liste. Aménageant une place de travail dans son habitation, le paysan-horloger vit donc en partie de l’agriculture et en partie de l’industrie. Fonctionnant sur le modèle du Verlagssystem (manufacture dispersée), l’horlogerie se base sur une répartition des opérations de fabrications sur plusieurs sites. L’horloger se spécialise donc dans la confection des ancres, des échappements, des ressorts ou des spiraux ; d’autres assemblent le tout, les marchands commercialisant le produit fini.
Assis sur un tabouret devant son établi, le paysan-horloger est interrompu un instant dans son travail par l’arrivée de sa femme et de son enfant. Eclairé par la lumière du jour se déversant largement par la fenêtre, ses outils sont disposés sur l’établi : une loupe sur un bras articulé, un étau, un outil à planter, des brucelles et une scie. Dans le fond, sur la droite, une pendule neuchâteloise trône dans sa vitrine. La proximité de la campagne est rappelée par la présence d’un fusil de chasse accroché au-dessus de la porte ainsi que par l’oiseau empaillé fixé près de la fenêtre. La signature du peintre figure sur le bord de l’établi.
Fritz Zuber-Bühler est né au Locle, mais fait sa carrière à Paris comme portraitiste et peintre de genre. « L’horloger et sa famille », tout en évoquant avec beaucoup de précision le travail de l’horloger à domicile, tend à une idéalisation du paysan-horloger. Il rejoint en cela le mythe façonné entre autres par Jean-Jacques Rousseau et repris par de nombreux historiens au XIXe siècle, dressant le tableau idéal d’une symbiose parfaite entre le monde agricole et l’industrie. Cette idéalisation est ici rendue évidente par une référence iconographique très claire à la Sainte Famille.
Blanchard, Philippe, L’établissage. Etude historique d’un système de production horloger en Suisse (1750-1950), Chézard-Saint-Martin : Ed. de la Chatière, 2011.
Cardinal, Catherine, Piguet, Jean-Michel, Catalogue d’œuvres choisies, La Chaux-de-Fonds : Institut l’homme et le temps, 1999, pp. 336-337.
La Chaux-de-Fonds / Le Locle, Urbanisme horloger, Proposition d’inscription sur la Liste du patrimoine mondial, 2009, pp. 166.