Fouillé entre 1984 et 1986 dans le cadre des travaux autoroutiers (A5), le site d’Hauterive Champréveyres a livré les restes d’un campement de chasseurs-cueilleurs de la période du Magdalénien (16’000 à 12’000 av. J.-C.). Autour d’une dizaine de structures de combustion (foyers), de nombreux vestiges ont été récoltés, principalement du mobilier lithique (silex, gneiss et schiste) et des restes osseux (faune). Parmi les vestiges, trois fragments osseux, dont la dent qui nous intéresse, appartiennent à un chien (Canis lupus f. familiaris). Il s’agit de la plus ancienne attestation de l’existence du chien en Suisse et plus largement d’un des plus anciens témoins de la domestication du loup en Europe. Le site est daté d’environ 13’000 av. J.-C. par une série de datations au carbone 14 effectuées sur des charbons de bois issus des foyers découverts.
Le loup est le premier animal domestiqué par l’homme et le seul à avoir été contraint à des transformations morphologiques aussi importantes. En effet, il est aujourd’hui admis que le loup est l’ancêtre commun de toutes les races de chiens actuelles. La domestication est un processus de longue durée qui modifie peu à peu l’espèce visée en l’éloignant de son milieu naturel et en contrôlant sa reproduction.
Il s’agit d’une canine supérieure gauche incomplète en sept fragments. Elle a été trouvée aux abords du foyer 116, non loin d’une troisième incisive supérieure gauche et d’une moitié proximale d’un troisième métatarsien. Il est probable que ces restes appartiennent au même individu. Sur la base des seuls caractères morphologiques de l’incisive et du métatarsien on ne peut dire s’il s’agit d’un chien, d’un loup ou d’un autre carnivore. En revanche, la canine permet une distinction plus précise grâce à deux mesures de diamètre à la base de sa couronne. La comparaison avec un corpus de loups et de chiens récents montre que le canidé de Champréveyres devait être un chien d’une soixantaine de centimètres au garrot dont la domestication était récente ou peu avancée.
Il est probable que la domestication du loup s’est faite en habituant progressivement des louveteaux non sevrés à l’homme, inhibant ainsi le comportement de fuite parmi les individus les plus sociables. La chronologie et la localisation du foyer d’apparition du chien font l’objet de nombreux débats[1]. Il est possible que cette domestication ait été faite en plusieurs étapes et en différents endroits, entre 40’000 et 20’000 av. J.-C. Les raisons de cette domestication sont difficiles à établir et plusieurs hypothèses se concurrencent. Il peut s’agir d’une spécialisation pour une activité spécifique comme la garde, la chasse ou la traction ; d’une utilisation opportuniste comme éboueurs ou comme barrière contre les nuisibles ; d’une exploitation pour la viande et la fourrure ; ou enfin comme simple animal de compagnie.
Le chien d’Hauterive Champréveyres fait partie des plus anciens fossiles témoignant de la domestication du loup de manière incontestable. Le site n’a livré aucune trace de morsure de chien sur les restes fauniques, mais la position des ossements de chien près d’un foyer est un indice de sa consommation par l’homme. Il pouvait donc s’agir d’un animal de consommation et/ou de compagnie.
Guizard, Fabrice ; Beck, Corinne (éd.), Une bête parmi les hommes : le chien. De la domestication à l’anthropomorphisme, Amiens, Encrage, 2014.
Jouventin, Pierre, « La domestication du loup », Pour la Science, 423, Paris, janvier 2013, pp. 42-49.
Leesch, Denise (dir.), Un campement magdalénien au bord du lac de Neuchâtel : cadre chronologique et culturel, mobilier et structures, analyse spatiale (secteur 1), Neuchâtel : Musée cantonal d’archéologie, 1997, Collection Archéologie neuchâteloise 19.
Morel, Philippe ; Müller, Werner, Un campement magdalénien au bord du lac de Neuchâtel : étude archéozoologique (secteur 1), Neuchâtel : Service et musée cantonal d’archéologie, 1997, Collection Archéologie neuchâteloise 23.
Talisker, Gérard, « Caniche ou molosse ? Le chien des hommes préhistoriques », Archéologia, 522, Editons Faton, Dijon, juin 2014, pp. 8-10.
Objet d’une visite thématique au Laténium, menée en août 2011 par Chrystel Jeanbourquin:
https://www.rts.ch/decouverte/dossiers/2010/lacustres_objet-du-mois/3296420-la-canine-de-chien-paleolithique-de-champreveyres.html