Comme dans bien des cantons suisses, le féminisme protestant se développe à Neuchâtel au tournant des XIXe et XXe siècles. Après un ralentissement du à la guerre, le « suffragisme » renait en 1918, entrainé par quelques personnalités parmi lesquelles la romancière T. Combe (de son vrai nom, Adèle Huguenin, 1856-1933). Le 29 juin 1919, les Neuchâtelois sont appelés aux urnes pour décider du suffrage féminin. Le nouvel article constitutionnel est rejeté à une large majorité par 12’017 voix contre 5’346. Malgré deux nouvelles tentatives en 1941 et 1948, il faut attendre le 27 septembre 1959 pour que le droit de suffrage et d’éligibilité soit enfin accordé aux femmes sur les plans cantonal et communal, par 53,6% des votants. Neuchâtel devient ainsi le premier canton suisse, avec Vaud et Genève, a ouvrir ce droit aux femmes.
L’affiche, issue des rangs des opposants au suffrage féminin, montre deux états de la situation familiale. L’artiste a représenté en haut à droite une famille unie et heureuse, l’homme couvant d’un regard bienveillant sa femme qui porte dans ses bras un nouveau-né. La scène est commentée par le texte « ce que l’on a ». La moitié inférieure de l’affiche dénonce « ce que l’on risque », ce que pourrait devenir cette famille en cas d’acceptation du suffrage féminin : la femme, abandonnant son foyer, participe à des débats politiques, alors que l’homme se retrouve seul pour s’occuper des enfants qui sont plongés dans l’affliction.
La société suisse de 1919 n’est pas encore prête à accepter le suffrage féminin, perçu comme une remise en cause du modèle patriarcal et une atteinte aux prérogatives masculines. Le pouvoir économique et politique est clairement dévolu aux hommes, alors que la femme est cantonnée au foyer afin de s’occuper de l’éducation des enfants et de la bonne tenue de la maison. L’inversion de ces rôles, conséquence supposée du suffrage féminin, apparaît sur l’affiche comme un facteur de division qui nuit à l’unité et au bonheur de la famille, pierre angulaire de la société.
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