Suite à la condamnation de l’Emile et du Contrat social en 1762, Jean-Jacques Rousseau fuit Paris, puis Genève et Yverdon, pour se réfugier enfin à Môtiers, dans la principauté de Neuchâtel. Il demande la protection au souverain du pays, Frédéric II, roi de Prusse, qui la lui accorde, par l’intermédiaire de son gouverneur Georges Keith. C’est ce dernier qui obtiendra pour Rousseau des lettres de naturalité neuchâteloise le 16 avril 1763 et lui permettra d’être reçu communier de Couvet quelques mois plus tard. Il séjournera à Môtiers jusqu’en septembre 1765.
L’artiste a représenté ici la scène de la « lapidation » de Jean-Jacques Rousseau en septembre 1765. Pendant que Rousseau en habit d’Arménien donne généreusement l’aumône à un pauvre, un groupe de personnes excité par un pasteur s’apprête à lui lancer des pierres. La scène se déroule à proximité du village de Môtiers que l’on distingue à l’arrière-plan. Au fond serpente l’Areuse. La scène est inspirée du récit que Rousseau fait de l’événement dans le livre XII des Confessions : « Après cela le peuple, ouvertement excité par les ministres, (…) ne connut plus de frein. Je fus prêché en chaire, nommé l’Antéchrist, et poursuivi dans la campagne comme un loup-garou. Mon habit d’Arménien servait de renseignement à la populace. (…) Je me promenais tranquillement dans le pays avec mon cafetan et mon bonnet fourré, entouré des huées de la canaille et quelquefois de ses cailloux. »
L’artiste fait ici référence à la polémique qu’avait déclenchée à Neuchâtel la publication par Rousseau des Lettres écrites de la Montagne puis des Lettres de Goa qui déchainèrent la fureur de la Vénérable Classe des pasteurs, en particulier celle du pasteur de Môtiers, Frédéric-Guillaume de Montmollin. Cet épisode provoqua le départ de Rousseau pour l’Ile Saint-Pierre. Publié dans les Tableaux de la Suisse par Laborde et Zurlauben en 1780, cette gravure montre combien le passage de Rousseau dans le Val-de-Travers va inspirer les artistes. Ce ne sont pas moins de 14 planches, en effet, qui sont consacrées à cette région dans cet important ouvrage, retraçant ainsi le parcours du philosophe dans le pays de Neuchâtel.
Histoire du Pays de Neuchâtel, tome II, Hauterive : Ed. Gilles Attinger, 1991, pp. 344-348.
Godet, Philippe, « J.-J. Rousseau à Môtiers », Musée neuchâtelois, 1893, p. 28.
Matthey, F., « Réalisme topographique et paysage littéraire », in : Iconographie du Val-de-Travers, Revue neuchâteloise, no 70, 1975, pp. 6-12.