Dans le pays de Neuchâtel, la dîme des vendanges se prélevait soit à raison d’une gerle sur onze, une gerle sur dix-sept soit à la conscience, soit directement en argent. Depuis la Réformation, les dîmes n’appartiennent plus au clergé mais à l’Etat ou à la Ville de Neuchâtel. Avant les vendanges, elles étaient mises aux enchères et l’enchérisseur qui emportait la mise pouvait ensuite prétendre aux gerles dues qu’il retirait directement au bas des parchets au gré de la progression des vendanges. Quant aux receveurs des dîmes, ils comptabilisaient les produits de celles-ci.
Le musée de la Vigne et du Vin possède deux manuscrits importants écrits à l’usage du receveur de la dîme de Cressier. Afin que cette dernière puisse être perçue avec exactitude, il fallait que les dîmeurs tiennent une comptabilité précise dans ce qu’il est convenu d’appeler des carnets de dîme. Ceux-là recouvraient les différents quartiers qui composaient un vignoble et étaient remplis au jour le jour. Etant donné qu’il fallait plusieurs jours pour vendanger des grands parchets et que la dîme était prise quotidiennement, une même vigne pouvait être mentionnée en plusieurs pages d’un même carnet. Leur consultation devenait donc vite ardue. Afin de récapituler l’ensemble, des livres de recettes de dîme furent constitués. Ceux du Musée de Boudry présentent la vendange de Cressier pour les années 1791 à 1795 et 1801, 1802. Ils sont dus à César d’Ivernois (1771-1742) juriste, poète, conseiller agronome et maire de Colombier.
Comme certaines vignes étaient franches de dîme, il fallait que le receveur en soit informé. Ainsi, ces registres donnent la liste exhaustive des parcelles du vignoble cressiacois, précisant pour chaque vigne sa nature: à savoir si elle était franche de dîme et, si elle était cultivée à moitresse ou à tierce, à qui elle appartenait…
Ces In-folio manuscrits de la fin du 18e siècle et du début 19e comptabilisent les résultats des vendanges de Cressier pour permettre la perception de la dîme et définir la part revenant à ceux qui en avaient obtenu l’adjudication.
L’étude de ces deux livres permet de déterminer le rendement du vignoble de Cressier pour la fin du 18e siècle et le début du 19e siècle, montrant à l’envi les écarts de production d’une année à l’autre. Grâce à eux, il est aussi possible de reconstituer la propriété viticole de cette époque et de montrer qu’un tiers de 2100 ouvriers de vignes de Cressier était entre les mains de trois familles aristocratiques.
La statistique de la population de Cressier nous apprend qu’en 1791, 535 personnes habitent la commune (255 hommes, 280 femmes; 317 Neuchâtelois, 218 étrangers). Pour cette même année, 173 personnes reconnaissent tenir et cultiver des vignes à Cressier, soit le tiers de la population globale, ce qui démontre bien que presque tous sont concernés par la vigne.
Pour la grande majorité de la population, la culture de la vigne n’apporte qu’un peu de vin sur la table et encore. Récolter 10 gerles, c’est encaver deux muids et obtenir ainsi de l’argent liquide pour acheter le froment nécessaire à la vie. Cependant, beaucoup de Cressiacois n’obtiennent pas ce rendement et doivent, pour survivre, louer leurs bras ou s’adonner à d’autres métiers, la vigne ne les nourrissant pas.
www.chateaudeboudry.ch Callet-Molin, Vincent, Ruedin, André (textes réunis par), Cressier : entre Thielle et Jura, Hauterive : G. Attinger, 2008.