La fin du 19e et le début du 20e siècle sont des moments décisifs dans la constitution d’un patriotisme helvétique. Les autorités fédérales tentent de renforcer l’esprit national en encourageant, par des commandes publiques, le développement d’une expression artistique incarnant l’Etat national. Les mythes suisses – tels que Guillaume Tell ou Nicolas de Flue – sont des symboles repris par de nombreux peintres. A l’orée de la Première Guerre mondiale, la Confédération promeut un Etat fort et centralisé, s’articulant autour de la notion de neutralité. Avec le culte des héros nationaux, la glorification de l’armée est mise en évidence dans une partie de la production artistique. C’est dans ce contexte que le peintre et sculpteur Charles l’Eplattenier, mobilisé, reçoit la commande de la décoration d’une salle du château de Colombier. Il réalise entre 1915 et 1919 un cycle de peintures murales dans la salle dite des Chevaliers, réservée à l’époque aux officiers.
Le cycle thématique, peint sur de grandes toiles marouflées d’une hauteur de quatre mètres, représente les quatre temps forts de la mobilisation : le Serment des troupes, la Chevauchée de la cavalerie vers l’Ajoie, la Montée à la frontière et l’Installation défensive. C’est ce dernier thème que l’on distingue derrière l’escalier. L’artiste a figuré le régiment 8 d’infanterie prenant ses quartiers à la « Trouée de Belfort », à proximité de la Lucelle, face à l’Alsace allemande. L’escalier est habilement intégré à la composition, suggérant l’espace. La signature de l’artiste se trouve sur la gauche, entre les barreaux d’une échelle : « C. L’EPLATENIER 1915-1919 ». Une autre date, « 1926 », ajouté juste à côté, indique l’année du marouflage des toiles.
L’artiste n’est pas totalement libre dans son interprétation de la mobilisation générale de l’armée suisse. Le sujet lui est imposé par son chef militaire, le divisionnaire Treytorens de Loys, qui lui a commandé ce travail. L’Eplattenier réalise un deuxième cycle de peintures dans une autre salle du château de Colombier, la salle d’Armes. Si les premières esquisses datent de 1919, ce second cycle n’est achevé qu’en 1946. L’Eplattenier s’engage avec enthousiasme dans ce projet. Dans une lettre au colonel Sunier, datée du 26 août 1935, il écrit : « Ce que nous voulons, c’est faire du Château de Colombier un sanctuaire du plus pur patriotisme suisse inspiré du Grütli et des plus belles pages de notre merveilleuse histoire. Ce sanctuaire doit devenir un lieu de pèlerinage patriotique et un centre de ralliement. » L’artiste rejoint ainsi, pour le canton de Neuchâtel, le grand mouvement patriotique national qui caractérise cette période.
Pipoz-Perroset, Sylvie, « Les décorations de Charles L’Eplattenier au château de Colombier », in: Art + Architecture en Suisse, 2004, pp. 14-21.
Jeanneret, Maurice, « Les peintures de Colombier », texte revu et adapté par le cap D.M. Pedrazzini, in: La deuxième Division : racines et continuité, 1803-1961-1986, Colombier : Commandement de la Division de campagne 2, 1986, pp. 59-65.
Jeanneret, Maurice, Charles L’Eplattenier?, 1933.
Borel, Denis, Les troupes neuchâteloises de 1914 dans les peintures murales du Château de Colombier, Colombier, 1984.