Ces deux autels ont été retrouvés en 1608 et déplacés de l’église paroissiale de Saint-Martin, sur les hauteurs de Cressier, pour être réutilisés dans le nouvel édifice construit au centre du village, Sainte-Marie du Rosaire. De très nombreux blocs romains ont été réemployés à la construction de l’Église Saint-Martin et sont visibles dans les fondations de l’édifice. Trois autres autels ont été mis au jour lors de campagnes de fouilles, le dernier lors de 2014-2016.
Ces vestiges supposent la présence dans les environs d’un temple, voire d’un sanctuaire gallo-romain, bien qu’il n’ait pas été retrouvé. En effet, la topographie – un éperon rocheux dominant la plaine – est idéale pour l’établissement d’un lieu de culte dédié aux divinités romaines de Mars et Mercure. Le site est de plus à proximité d’une voie romaine très fréquentée, la Vy d’Etra.
Les deux autels ont été sculptés dans du calcaire blanc, une roche locale. Au centre du socle et sur les deux extrémités du couronnement, des perforations ont été ajoutées. Si ces trous sont probablement modernes, ils étaient pratiqués durant l’Antiquité pour fixer un élément décoratif en métal à l’autel. Il en va de même pour les lettres rubriquées d’un enduit rouge qui, durant l’Antiquité, était composé d’oxyde de fer. Les tables sont toutes deux décorées d’un discret cylindre enserrant deux demi-lunes gravées.
Les autels ont été dédiés aux divinités Naria Nousantia et Mars par deux individus portant un nom quasi similaire. On pourrait traduire ainsi leurs dédicaces, qui reprennent la même formule : « A Naria Nousantia /Mars, Titus Frontinius Hibernus/Genialis s’est acquitté de son vœu de bon droit et à juste titre ».
Dans le monde romain, l’entente entre les Dieux et et les Hommes est fondamentale à l’équilibre du monde et passe par l’accomplissement de rites. Une offrande peut remplir différents buts : racheter une faute (expiatoire), assurer le succès d’une entreprise (propiatoire) ou remercier de l’aide reçue (c’est le cas des autels de Cressier). Elle revêt différentes formes, en fonction des moyens du dédicant et de l’ampleur de l’aide demandée : immolation de centaines de bœufs, libation de vin, offrande de galettes, miel ou fromage. Ces deux autels sont dits votifs : ils ne remplissent pas leur fonction usuelle mais constituent l’offrande elle-même.
Ailleurs qu’à Cressier, le culte de Naria Nousantia n’est attesté qu’à Muri près de Berne, où l’on a retrouvé son nom sur une statuette, désignée comme une déesse par son inscription. On sait malheureusement très de peu de choses à son sujet. Nousantia pourrait faire référence à une localité, car il était commun, chez les Romains, d’associer l’origine d’un culte, ou l’une de ses formes particulières, à un lieu.
Quant aux dédicants, il s’agit probablement d’Helvètes marqués par la culture latine et devenus citoyens romains. Au-delà de l’usage de la langue, ils ont adopté le système des tria nomina (trois noms : prénom, nom et surnom). Avant les Romains, les Helvètes s’attribuent un nom unique, suivi d’un génitif ou, plus rarement d’un adjectif de filiation. Malheureusement, les noms des deux Titus ne fournissent pas d’indication sur leur filiation, leur cité d’origine ou leur statut d’affranchi. Ils pourraient être les premiers citoyens romains de leur lignée, indigènes aisés et membres d’une famille établie sur le territoire actuel du village de Cressier, dont les habitations restent à trouver !