Le Premier âge du Fer (800-450 av. J.-C.) se caractérise en Europe par un basculement des axes commerciaux, organisés jusqu’alors sur un axe est-ouest. L’Europe se recentre autour des cités-états méditerranéenes (Grande Grèce, Etrurie). En coordonnant les réseaux d’échanges entre la Méditerranée et l’Europe du nord, les chefs territoriaux celtes de la région alpine orientale s’enrichissent et prélèvent au passage des objets de prestige. Le commerce devient source d’enrichissement et de pouvoir et entraîne inévitablement une complexité croissante des relations sociales. Ce système d’échange inclut des biens, mais également des valeurs et des pratiques telles que celle du banquet dont témoigne le chaudron de Coffrane-Les Favargettes.
Ce chaudron en bronze provient du tumulus[1] autrefois localisé sur la commune de Coffrane, dans le Val-de-Ruz, au lieu-dit « Les Favargettes ». Il a été fortuitement découvert sur la propriété de M. Dabre, lorsque celui-ci décide en 1867 de se débarasser d’un murgier, un tas de pierres situé sur l’un de ses champs. Les ouvriers mettent au jour des ossements humains et, peut-être pris de peur, les ré-enfouissent aussitôt. Le tumulus isolé, de 13,4 m de diamètre et 2,74 m de hauteur, aurait abrité au minimum quatre sépultures d’après le matériel découvert lors des fouilles, réparti entre le Bronze moyen, le Hallstatt et le début du Second âge du Fer, l’époque La Tène. Il aurait donc été réutilisé à plusieurs reprises depuis sa construction au Bronze moyen.
Le chaudron a été réalisé en bronze, à partir d’une seule tôle travaillée par martelage. Les anneaux de suspension sont coulés et fixés au moyen d’attaches en forme de T renversé. Le bronze est constitué d’un alliage de cuivre et d’étain, sans traces de plomb, selon une analyse effectuée par M. Sacc en 1868. Le chaudron peut contenir environ 28 litres d’une boisson alcoolisée qu’on puisait à l’aide d’une petite coupelle en bronze ornée de motifs géométriques. L’embout d’une corne à boire date le service de vaisselle. Celui-ci est semblable à l’embout découvert dans la tombe princière du Hochdorf, au sud de l’Allemagne, que le matériel archéologique a permis de dater précisément entre 540-520 av. J.-C.
L’individu auquel appartenait le chaudron était probablement un homme. En effet, des objets tels qu’armes, rasoirs, corne à boire ou chaudrons semblent uniquement réservés au sexe masculin. L’apparition de services de vaisselle dans les sépultures celtes est le signe d’une tradition nouvelle, celle du banquet, importée de la Méditerranée et adaptée au goût indigène.
Dès la fin de l’âge du Bronze, les aristocraties égéennes organisent des festivités royales, rapportées dans l’Iliade[1], dont certains indices se retrouvent dans des sépultures du 10e au 8e siècle av. J.-C. : chaudron en tôle métallique, trépied, broches à rôtir, fourchettes, couteaux. Ces objets sont l’expression d’un idéal aristocratique fondé sur la pratique de la guerre, de la chasse et des festins. Dans le monde grec, le banquet est exclusivement réservé aux hommes. On consomme du vin coupé avec de l’eau et on en offre en libation. Le précieux liquide est déposé dans des lébès, des chaudrons monumentaux, insignes royaux ou aristocratiques, au même titre que les armes, les pièces de char ou d’harnachement.
Aux cours du 7e siècle av. J.-C., les grecs fondent des comptoirs en Grande Grèce (Sicile) et favorisent l’extension de la culture de la vigne. La consommation de vin se répand parmi les élites. Les Etrusques sont concurrencés au 6e siècle av. J.-C. par les Phocéens, qui s’implantent en Gaule avec la fondation de la colonie de Massalia et l’arrivée de nouveaux objets liés au service de la boisson, exportés jusqu’au sud de l’Allemagne via le cours du Rhône et de la Saône. De somptueuses pièces de vaisselle en bronze font leur apparition dans les sépultures de l’élite, comme le gigantesque cratère de Vix (Côte d’Or), le chaudron de la tombe de Hochdorf (Bade-Wurtemberg) ou l’hydrie de Grächwil (Berne).
Le vin est importé et reste un produit rare comme le montrent le petit nombre d’amphores vinaires venues de Massalia, plus rarement de Grèce, recensées dans la quinzaine d’habitats répartis entre le centre de la France et le Wurtemberg. Le chaudron de la tombe princière du Hochdorf contenait de l’hydromel, tout comme le cratère de celle de Vix, qui pouvait contenir plus de 1’100 litres et a été le plus souvent rempli d’alcools indigènes tels que la cervoise ou l’hydromel.
Si la consommation du vin était plutôt exceptionnelle dans le monde hallstattien, la pratique du banquet semble avoir été d’une grande importance pour les princes celtes, puisque ceux-ci se faisaient inhumer avec la vaisselle en bronze utilisée à ces fins. Cette somptueuse vaisselle était peut-être mise en scène dans un dernier banquet funéraire, pratique attestée chez les étrusques et dont on trouve des représentations sur les couvercles des sarcophages, des urnes et sur les murs des tombes.
Desor, Edouard, « Le tumulus des Favargettes », in: Musée Neuchâtelois, 1868, pp. 229-242.
Dunning, Cynthia, Le premier âge du Fer sur le versant méridional du Jura : chronologie, typologie et rites funéraires, thèse de doctorat, Université de Genève, 2005.
Poux, Matthieu, L’âge du vin : rites de boisson, festins et libations en Gaule indépendante, Ed. Montagnac : M. Mergoil, 2004.
Verger, Stéphane, « La grande tombe de Hochdorf, mise en scène funéraire d’un « cursus honorum » tribal hors pair », in: SIRIS : Studi e ricerche della Scuola di specializzazione in archeologia di Matera, 7, 2006, pp. 5-44.
Verger, Stéphane, « Qui était la Dame de Vix ? Propositions pour une interprétation historique », in: Cébeillac-Gervasoni M. (éd.), Lamoine L. (éd.), Les élites et leurs facettes : les élites locales dans le monde hellénistique et romain, actes du colloque international de Clermont-Ferrand, 24-26 novembre 2000, Rome : École française de Rome ; Clermont-Ferrand : Presses universitaires Blaise Pascal, 2003, pp. 583-625.