La Ville de Neuchâtel entre en possession d’une somme très considérable grâce au testament de David de Pury, un banquier richissime d’origine neuchâteloise, qui offre une première donation à sa ville natale dès 1783. La Cité, à son instance, décide de poursuivre la construction de grands bâtiments édilitaires modernes fidèles à l’esprit des Lumières : après l’hôpital, un nouvel hôtel de ville.
Cette œuvre, très finie, aux ombrés soigneusement ménagés, est même rehaussée de rares couleurs apposées au lavis et à l’aquarelle. Elle correspond à ce qu’on appelle d’ordinaire un dessin de présentation ; de tels documents étaient essentiellement destinés aux commanditaires, auxquels ils devaient faciliter la vision anticipée du bâtiment terminé. Ici, l’architecte a dessiné une variante d’un projet daté du 12 janvier 1784, qu’il se limite à mettre au net pour archivage.
En dépit de ses traits réalistes, ce dessin reste marqué du sceau de l’épure presque abstraite, chère à un architecte féru d’antiquité et de rigueur. En effet, la représentation n’est pas élaborée selon les lois de la perspective, mais suit le principe géométral. Les ombres signalent un ensoleillement presque abstrait. Le sol, plat et sans aspérité, ne décrit aucun lieu concret. La façade se divise en deux parties horizontales, que sépare une corniche saillante. Au rez, Pâris a opté pour un appareil rustique, qui évoque la grandeur puissante et presque fruste des premières architectures antiques ; Pâris, qui avait effectué deux séjours d’étude en Italie (1771-74 et 1783), avait été fasciné par ce qu’on appelait alors l’architecture cyclopéenne, c’est-à-dire colossale, provenant de l’antiquité la plus reculée. Cet appareil rustique forme un véritable piédestal, qui rehausse le bâtiment et lui confère une forte assise. En avant-corps, et enchâssée dans un balcon à balustrade, une colonnade de style colossal, aux chapiteaux toscans, relie le premier et le deuxième étage. Elle protège deux séries de sept fenêtres à la découpe pure, comme taillées dans la surface de la façade, simplement rayée de rainures horizontales, sans aucune moulure. Les huit colonnes soutiennent un entablement orné avec parcimonie ; une simple baguette limite l’architrave, sur laquelle l’architecte a disposé une frise où alternent, fidèles à l’ordre dorique, triglyphes et métopes. La corniche, ornée de parallélépipèdes qui évoquent des poutraisons affleurantes, délimite un fronton où se détachent deux victoires ailées à la grecque qui devaient être exécutées en haut relief. Les deux figures entourent une horloge, sur un fond de nuées.
Un tel dessin atteste que Pâris avait parfaitement compris les besoins de ses commanditaires : selon les règles de la bienséance, cette façade devait célébrer la nouvelle importance de la Cité, à l’aide d’une forme prestigieuse, puisée dans une nouvelle vision épurée de l’Antiquité. Le modèle grec sert ici à rehausser la grandeur d’une architecture publique, digne de la Cité antique. Elle s’ouvre sur la rue de l’Hôpital et sur l’hospice, lieux alors neufs, et objets de fierté de l’édilité.
Mais Pâris n’osa trop effrayer les bourgeois de Neuchâtel. Ces derniers ne connaissaient pas le temple de Paestum, qui avait livré le secret de la forme véritable que les Grecs donnèrent à la colonne dorique, avec son chapiteau à échine plate, son fût cannelé de vingt gorges, et dépourvu de toute base. Pâris osa utiliser ce type de colonne, directement inspiré par Paestum, au péristyle de l’hôtel de ville. Mais sur la façade, il revint à un ordre plus traditionnel, que Vitruve décrit au quatrième livre de son De Architectura, et que la tradition architecturale utilisa constamment de la Renaissance jusqu’au 19e siècle.
Courvoisier, Jean, « Lettres de Pierre-Adrien Pâris sur la construction de l’Hôtel de ville de Neuchâtel », in Musée Neuchâtelois, 1954, pp. 138-150, 174-186.
Courvoisier, Jean, Les monuments d’art et d’histoire du Canton de Neuchâtel, Bâle : Éditions Birkhäuser, t. 1, 1955.
Galactéros de Boissier, Lucie, « L’Hôtel de ville de Neuchâtel : du projet de C.-N. Ledoux à la métamorphose de celui de P.-A. Pâris (1783-1793) : refus, puis amendement politiques d’une architecture symbolique ? », in : Le progrès des arts réunis, Talence : Cercam, 1992, p. 227-241.
Galactéros de Boissier, Lucie, « À l’origine de l’Hôtel de Ville de Neuchâtel : François III de Chambrier ? », in Revue historique neuchâteloise, n° 3-4, 2003, p. 287-305.
Le cabinet de Pierre-Adrien Pâris, architecte, dessinateur des menus-plaisirs, Catalogue d’exposition, Paris : Hazan, 2008.
Pinon, Pierre, Pierre-Adrien Pâris (1745 – 1819), architecte, et les monuments antiques de Rome et de la Campanie, Rome : École Française de Rome, 2007.
Rabreau, Daniel, Les dessins d’architecture au XVIIIe siècle, Paris : Bibliothèque de l’Image, 2001.
Raspi Serra, Joselita (éd.), La fortuna di Paestum e la memoria moderna del dorico 1750 – 1830, Florence : centro Di, 1986, 2 vol.