Cette statue-menhir a été mise au jour à l’extrémité du plateau de Bevaix, au lieu-dit de Treytel-À-Sugiez, entre les années 1996-2000, lors des fouilles de l’autoroute A5 dans le canton de Neuchâtel.
Dans nos régions, les menhirs sont les premiers monuments en pierre et témoignent d’une occupation répétée autour du lac de Neuchâtel au 5e millénaire av. J.-C. Ces sites mégalithiques apportent de précieuses informations sur les débuts du Néolithique régional, connu jusqu’ici uniquement par les stations lacustres, dont les premières traces remontent au début du 4e millénaire av. J.-C. L’arrière-pays était donc parcouru par des populations d’agriculteurs-éleveurs plus d’un millénaire avant la construction des premiers villages lacustres.
La première occupation du site de Treytel-À Sugiez remonte au Néolithique moyen, de 4’600 à 3’700 av. J.-C. Elle correspond à la mise en place d’un alignement de douze pierres, neuf selon un axe nord-sud parallèle au rivage sur 30 mètres. Plus au nord, en guise de prolongement, trois pierres délimitent un espace vide. Un dolmen et deux menhirs sont également érigés sur le site voisin de Bevaix/Le Bataillard. Les menhirs font face à l’est et l’alignement ainsi formé crée un V ouvert vers Neuchâtel.
Le menhir de Bevaix/Treytel est alors taillé dans un bloc de schiste vert. On a pratiqué des enlèvements sur le flanc gauche pour dégager un épaulement, puis on l’a piqueté pour parfaire la symétrie. On a également sculpté sur le sommet un rostre apical (une pointe), pour indiquer la « tête » du menhir lors de son érection.
Mille ans après l’abandon du site, d’autres populations y ont installé deux ateliers de taille de pierre polies au Néolithique final, vers 2’800 av. J.-C. Leur présence n’est pas liée à la proximité d’un lieu d’habitat ou d’une source de matière première, mais peut-être à l’attrait exercé par les monuments déjà anciens. Les hommes sculptent des motifs sur deux des menhirs, dont celui-ci, qui se voit attribuer les traits d’un visage, des mains et l’esquisse d’une silhouette. On aménage également deux séries de rainures parallèles interprétées comme des éléments de parure ou de vêtements. Le faible relief des gravures est volontaire ; elles étaient peut-être colorées pour rehausser les détails gravés.
La première occupation du site est homogène et dure environ 900 ans. En aval de l’alignement, la présence de fosses dépotoirs, de céramiques, d’outillage et, à proximité des menhirs, d’une vingtaine foyers permet d’attester de passages répétés. Le réinvestissement des lieux à la fin du Néolithique, bien que ponctuel, semble indiquer que l’espace avait conservé une valeur essentielle.
Les sites mégalithiques contemporains dans la région, à Yverdon/Promenade des Anglaises (VD), Corcelles-Près-Concise/Les Pierres Plates (VD) et Saint-Aubin/Derrière La Croix (NE), sont distants les uns des autres de 6 à 8 km. Tous sont organisés de la même manière – un alignement central avec des structures satellites – et érigés sur des buttes isolées par des cours d’eaux. Il existait donc une organisation du territoire et la présence d’un site mégalithique pouvait marquer l’implantation d’un groupe, la limite d’un territoire, le jalon d’un itinéraire, etc. Au début du 5e millénaire av. J.-C., la région était recouverte d‘une forêt dense de chênaie mixte, qui s’étendait jusqu’aux rives marécageuses. Les sites mégalithiques devenaient des repères visibles dans le paysage, dès lors ils ont peut-être fonctionné comme les marqueurs symboliques d’un territoire et d’une identité.
Quant à la statue-menhir, qui ou que représente-t-elle : défunt, ancêtre, force divine, personnage mythologique ? Autant d’hypothèses qui restent pour l’instant ouvertes…
Burri-Wyser, Elena et al., D’un mégalithe à l’autre : entre Yverdon-les-Bains/VD et Hauterive/NE, Yverdon-les-Bains : Musée d’Yverdon, 2012.
Grau Bitterli, Marie Hélène ; Fierz-Dayer, Elisabeth, Bevaix-Treytel-A-Sugiez : histoire d’un complexe mégalithique néolithique, témoins d’habitat du Campaniforme et du Bronze ancien, 2011, Archéologie Neuchâteloise 47, Plateau de Bevaix 6.
Wüthrich, Sonia ; Grau-Bitterli, Marie-Hélène, « Les pierres dressées en Suisse occidentale : nouvelles fouilles, nouvelles perspectives », in: Kaeser Marc-Antoine (dir.), Neuchâtel, le Laténium, parc et musée d’archéologie : actualités archéologiques en Suisse, Ed. Faton, 2009, Dossiers d’archéologie 333, pp. 32-37.