C’est lors du retour de Neuchâtel dans les possessions du roi de Prusse que Frédéric-Guillaume III effectue sa visite dans la principauté en 1814. À cette occasion, il tient à rencontrer Salomé de Gélieu pour lui offrir un souvenir de son épouse décédée, la reine Louise. Pédagogue renommée au service de l’aristocratie, Salomé de Gélieu avait fondé un pensionnat à Neuchâtel en 1765, avant de devenir préceptrice en Angleterre. Puis elle fut appelée à la cour de Darmstadt, où elle devait assurer l’éducation des filles du duc de Mecklembourg-Strelitz, dont Louise, qui épousera Frédéric-Guillaume III et deviendra reine de Prusse.
Le cadeau du roi détient une grande valeur mémorielle : en effet, à sa mort, en 1810, la reine Louise est vénérée comme une sainte. Le présent, d’un grand raffinement, sera conservé comme une relique par la famille de la récipiendaire. Conservé d’abord dans la famille de Gélieu, puis dans la famille Henriod et dans la famille Contesse, le châle n’entre dans les collections du musée qu’en l’an 2000, au terme d’une donation généreuse.
Ces châles sont tissés avec de la laine et de la soie, dans des tons généralement rouge brique. Cette pièce, très richement ornée de motifs végétaux et de palmes, doit son bel effet décoratif à la répétition de motifs symétriques et à la richesse chromatique des détails que renforce, par contraste, une réserve en rouge foncé sur la partie centrale.
Les châles en cachemire doivent leur dénomination à la région du Cachemire, où le « duvet de chèvres sauvages » (Lévi-Strauss, 1998-1999, p. 21) est produit. On recueille ce matériau « dans les hauts plateaux du Tibet» (Ibid.). La production de châles se développe aux Indes dès la fin de la Renaissance ; les plus anciens demeurent des tissus légers, mais au fil des siècles, ils acquièrent l’ampleur de véritables manteaux. Leur fonction se rapproche même de celle d’une fourrure : ils garnissent les épaules des dames. Objets de luxe « exotiques », très à la mode après 1800, ils sont décorés de motifs orientaux qu’imiteront les producteurs de châles européens. Leur forte expansion dans la société témoigne de l’importance qu’ils acquièrent au sein de la mode de l’époque romantique.
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Bahra, Hanne, Königin Luise, von der Provinzprinzessin zum preussichen Mythos, München : Bucher Verlag, 2010.
Bezon, Jean, Dictionnaire général des tissus anciens et modernes, t. 4 et 5, Paris : Lépagniez, 1853-1863.
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Dossier d’œuvre conservé au département des arts appliqués du Musée d’art et d’histoire de Neuchâtel.