L’esclavage a connu un essor considérable avec la découverte de l’Amérique et le développement du commerce international. Au 18e siècle, le Portugal, la Grande-Bretagne et la France sont les pays les plus impliqués dans la traite négrière. Choisis en Afrique, les esclaves sont déportés dans les Antilles et sur les côtes américaines, où ils travaillent dans des plantations. Entre onze et douze millions d’esclaves africains ont, selon certaines estimations, été capturés entre le 16e et le 19e siècle.
Dans les plantations, les conditions d’existence des esclaves sont strictes et difficiles. Le Code noir, édicté sous Louis XIV en 1685 et modifié en 1742, qui sévit dans les colonies françaises, est un exemple de la manière dont les esclaves sont considérés. Ce règlement comporte 60 articles traitant des devoirs des esclaves, des droits de leurs maitres, des punitions prévues en cas d’effraction à ces règles. L’article 44 précise : « Déclarons les esclaves être meubles, et comme tels entrer dans la communauté […] ». Ainsi, l’esclave est considéré comme une chose qui peut être légalement donné, vendu ou légué.
En 2011, une comptabilité des esclaves d’une plantation du Surinam, datant de 1787, est découverte dans le grenier de La Borcarderie, près de Valangin, qui abritait autrefois une fabrique d’indiennes.
Comportant huit pages reliées sommairement en cahiers, le document recense les esclaves de la plantation Onverdagt en Para, au Surinam (Guyane hollandaise). Les hommes, femmes et enfants y sont inventoriés minutieusement, soit dans la colonne des profits (achats ou naissances), soit dans la colonne des pertes (décès). Ils sont considérés sous l’angle de leur valeur marchande, à l’égal du bétail. Au 31 décembre 1782, il est précisé que « les nègres Mindor et Hercules » ont été l’un pendu, l’autre tué, révélant ainsi le sort réservé aux esclaves fugitifs ou révoltés. Les deux dernières pages du document comportent un inventaire des esclaves dressé en 1777 et complété en 1787, qui indique les différents travaux attribués aux hommes et aux femmes.
Les liens entre la vente d’indiennes et le commerce transatlantique étant avérés, il est fort probable que cette comptabilité des esclaves trouvée à Valangin se rapporte à une plantation appartenant aux propriétaires de la fabrique.
Plusieurs ressortissants neuchâtelois possèdent en effet des plantations employant des esclaves. Ainsi, Pierre-Alexandre DuPeyrou administre à distance les plantations qu’il possède au Surinam (Amérique du Sud). Jacques-Louis de Pourtalès est propriétaire de plantation dans l’île de Grenade, que les frères Pierre et François de Meuron gèrent sur place. Ancien caporal dans la Compagnie hollandaise des Indes orientales, Jean-Pierre de Pury, le père de David de Pury, émigre en Caroline du Sud où il se trouve à la tête de plantations.
Dans le dernier quart du 18e siècle, une évolution dans le comportement des planteurs est remarquée : à l’instar de Jacques-Louis de Pourtalès, une plus grande attention est portée à l’alimentation et à la santé des esclaves. Cette nouvelle approche de la condition des esclaves est théorisé en 1788 par un suisse, Jean-Samuel Guisan (1740-1801), dans un ouvrage « Traité sur les terres noyées de la Guiane, appelées communément Terres-Basses ». Profitant de son expérience dans la gestion des plantations, Guisan prône sur plus de 50 pages une amélioration des conditions de l’esclave. Mais la raison de cet intérêt reste essentiellement économique. Guisan souligne pour le colon l’importance « de la conservation de ses esclaves et de leur bonheur, qui seul peut en étendre l’intéressante propagation, qu’on doit tâcher d’élever sinon au-delà, du moins au niveau des pertes ; c’est la seule ressource qui reste à nos colonies pour se maintenir dans leur splendeur […] » (Guisan, 1788, p. 309).
Augueron, Mikaël ; Poton, Didier ; Van Ruymbeke, Bertrand (dir) ; Les Huguenots et l’Atlantique. Pour Dieu, la Cause ou les Affaires, Paris : Les Indes savantes : Presses de l’Université Paris-Sorbonne (PUPS), 2009-2010.
David, Thomas ; Etemad, Bouda ; Schaufelbuehl, Janick Marina ; La Suisse et l’esclavage des Noirs, Lausanne : Ed. Antipodes ; [Lausanne] : Société d’histoire de la Suisse romande, 2005.
Forster, Gilles, « Neuchâtel, l’esclavage et la traite négrière : entre mémoire refoulée et histoire occultée », in : Eternal Tour 2009 XZY, Hauterive : G. Attinger, 2009, pp. 64-72.
Forster, Gilles, « Les indiennes de traite: une contribution neuchâteloise à l’essor de l’économie atlantique », in: Sa Majesté en Suisse, Neuchâtel et ses princes prussiens, Neuchâtel: Editions Alphil, 2013, pp. 270-276.