La notoriété de l’absinthe Pernod Fils, produite à Couvet et à Pontarlier, était telle que d’autres marques concurrentes cherchaient à en tirer profit. Ainsi certaines maisons utilisaient des dénominations qui pouvaient prêter à confusion : on trouvait des absinthes Perrenod, Perrimond, Père Noé, Pernot ou encore Clerc-Renaud (prononcer clernod). D’autres jouaient sur la similitude des motifs et des couleurs de leurs étiquettes.
La maison Pernod réagissait vigoureusement à chaque fois et portait devant les tribunaux tous les cas de fraudes. Mais il est un procès que la marque Pernod Fils ne gagnera pas, celui qu’elle intentera contre la maison Legler Pernod à Couvet et Pontarlier et qui portait sur le nom et l’étiquette du concurrent.
Le jugement fut rendu par le tribunal de Pontarlier le 10 août 1888. Il concluait que les étiquettes respectives « ne présentent que des ressemblances superficielles, incapables de suggérer à l’œil le moins exercé (…) la moindre méprise ou une confusion quelconque ». Quant au nom lui-même, il paraissait naturel aux yeux de la Cour, que M. Otto Legler, qui avait créé sa fabrique d’absinthe à Couvet en 1863 et une autre à Pontarlier en 1885, en épousant une demoiselle Caroline Pernod, ait ajouté au sien le nom de sa femme. Pernod Fils fut ainsi condamné « à lui payer la somme de cent francs à titre de dommages-intérêts et à tous les dépens ».
La croix suisse et le chapeau du bailli Gessler figurent sur un grand nombre d’étiquettes d’absinthe puisqu’il fallait impérativement se référer aux origines de la boisson. Legler Pernod ne faillit pas à la tradition, il y adjoint même l’emblème de Couvet, le « covet » aux flammes rouges.
La localisation des deux fabriques figure en bonne place comme gage de qualité – Couvet et Pontarlier sont une référence mondiale dans le commerce de ce breuvage. L’inscription « qualité supérieure » vient souligner encore les vertus du produit. A cette époque, on parle encore d’extrait d’absinthe tout comme au 18e siècle.
Il est vrai que les deux étiquettes sont différentes, mais on pourrait, au contraire des énoncés du jugement, rassembler ce qui les rendent cousines, voire sœurs : la croix suisse, le chapeau de Gessler – même si « les plumes du chapeau surmontant la croix fédérale sont tournées à gauche, tandis que, à l’étiquette Pernod, elles inclinent à droite ». Pour prouver que Legler Pernod n’était pas seul à imiter l’étiquette de son adversaire, son avocat avait rassemblé 180 étiquettes différentes de ce type, qu’il a collées soigneusement dans un cahier, et classées par région.
Delachaux, Pierre-André, L’absinthe-arôme d’apocalypse, Hauterive : Editions Gilles Attinger, 1991.
Delahaye, Marie-Claude, Pernod : 200 ans d’entreprise : l’absinthe-dictionnaire des marques, Auvers-sur-Oise : Musée de l’absinthe, 2005.
Kaeslin, Jacques, Kreis Michel, L’absinthe au Val-de-Travers : les origines et les inconnu(e)s, La Côte-aux-Fées : M. Kreis, 2011.