Entre 1908 à 2005, alors que l’absinthe était interdite en Suisse, certains distillateurs clandestins du Val-Travers ont créé leur propre étiquette à apposer sur les bouteilles qu’ils emballaient soigneusement dans du papier-journal. Le motif ou le nom du produit en était le plus souvent humoristique ou caustique. C’est ainsi qu’une Bourgknechtine rappelait le nom d’un Conseiller fédéral responsable de la Régie fédérale des alcools.
Le premier artiste à réaliser une étiquette pour la fée interdite fut le peintre neuchâtelois Claude Loewer (1917-2006). En 1978, Jacques Minala (*1940) de Môtiers poursuit cette tradition en réalisant cette étiquette à la demande d’un collectionneur, amateur d’absinthe et d’art. Ce dernier sollicitera par la suite d’autres artistes, dont les productions viendront compléter sa collection d’étiquettes qui s’achève au moment de la re-légalisation de l’absinthe en 2005. Cette collection privée est riche aujourd’hui des œuvres originales de plus de cinq cents artistes.
Peintre de la couleur et des grands espaces, mais aussi dessinateur méticuleux et inspiré, Jacques Minala réalise ici une œuvre autant monumentale qu’intimiste.
Le détail du dessin montre bien les différentes parties qui composent un alambic que l’artiste a représenté posé sur un rocher : la chaudière ou cucurbite dans laquelle les plantes qui baignent dans un mélange d’alcool pur et d’eau sont portées à ébullition ; le chapiteau qui porte le col de cygne par lequel passe la vapeur qui redevient liquide à travers le serpentin du refroidisseur.
Au début de sa carrière, Jacques Minala était rigoureusement figuratif : personnages, foules, arbres, marais… Puis son art s’est tourné vers une forme d’abstraction, en grands aplats de couleurs. Mais dans ses dessins, il demeure fidèle à la réalité des choses.
Ici, Minala inscrit son image dans un paysage propre au Jura : des fermes, des barrières, des rochers calcaires desquels semble surgir l’alambic. L’artiste avait conçu un deuxième projet d’étiquette, très semblable au premier, mais sur lequel est ajouté un vers de Rimbaud extrait de La Comédie de la soif : « Au soleil sans imposture, que faut-il à l’homme ? Boire !!! »
Jacques Minala, La Chaux-de-Fonds : Editions d’En haut, 1991.
Delachaux, Pierre-André, Giger, Nicolas, Guiraud, Joël, La route de l’absinthe, Fleurier ; Pontarlier : Association Pays de l’absinthe, 2011.
Delachaux, Pierre-André, L’absinthe-arôme d’apocalypse, Hauterive : Editions Gilles Attinger, 1991.