Avec le début du 20e siècle, l’encavage Charles Perrier & Cie de Saint-Blaise devient l’un des plus importants de la région. Dès 1902, il a son siège dans la Maison neuve à la rue des Lavannes où se trouvent trois pressoirs. Son activité cessera en 1963. Pionnier au niveau publicitaire, Charles Perrier s’attache le peintre neuchâtelois Edmond Bille auquel il demande de réaliser un certain nombre d’affiches publicitaires.
Edmond Bille naît à Valangin le 24 janvier 1878. Après avoir effectué son gymnase à Neuchâtel en étant membre de la Société Néocomia, Bille entreprend des études à l’Ecole des beaux-arts de Bienne (1894-1895) avant de fréquenter l’atelier Laurens et Constant à l’Académie Julian de Paris.
Considéré aujourd’hui comme l’un des maîtres de l’Ecole de Savièse, suite à son établissement au Valais en 1904, Bille n’en demeure pas moins un artiste neuchâtelois puisque ses premières œuvres sont souvent liées à la région comme celle reproduite ici en témoigne.
Pour un jeune artiste, les débouchés sont peu nombreux. Ainsi, Bille s’adonne-t-il à la réalisation d’affiches pour gagner son pain. Celles-ci ne sont pas pour autant dénuées d’intérêt pictural. Elles peuvent même être rattachées aux grands mouvements artistiques de l’époque.
Gouache sur papier, signée et datée de l’année 1900, cet original d’affiche montre au premier plan deux enfants en train de soutirer du moût d’une gerle marquée C.P. (Charles Perrier) avec des pipes de noix. Le général Bernard de Gélieu (1828-1907) note dans ses souvenirs de jeunesse : « ces pipes se composaient d’une grosse noix, de celles qu’on appelle « noix des Goths », au bout de laquelle on fixait un jonc pris au bord du lac, après avoir auparavant vidé la noix et pratiqué plusieurs trous dans la coquille ». A l’arrière-plan, l’artiste figure le village de Saint-Blaise sous un ciel flamboyant digne de compositions Nabis.
Gélieu ajoute : « Heureusement pour nous, les trous se bouchaient bientôt, car les grains y entraient et n’en ressortaient qu’avec peine. Sans cet arrêt involontaire, nous nous serions peut être enivrés de jus de la grappe, si doux et si bon. Le soir, pour nous préserver des suites fâcheuses que pouvait avoir cet excès de boissons, on nous donnait des pommes de terre rôties que nous devions manger toutes chaudes ; nous aimions beaucoup ce remède ! Nous aidions parfois à tourner le pressoir, et nous en avions notre profit ; car alors, on nous permettait de remplir des verres de moût qui coulait du pressoir ; ce moût était plus fort que le jus de la gerle et quand nous en avions bu deux verres, c’était assez pour la journée. Pendant les vendanges, chacun est gai, surtout quand la récolte est bonne ; aussi entend-on le soir, après le travail, les vendangeurs et les vendangeuses chanter de joyeuses chansons, jusqu’à ce que la cloche de 9 heures les rappelle au repos, en vue du travail du lendemain. »
Ce texte suggère bien l’atmosphère des vendanges d’hier et rappelle l’anecdote illustrée par Bille de ces deux enfants attirés par le moût contenu dans la gerle. Les pipes de noix sont bien reconnaissables et les sourires des mômes laissent supposer que les suites fâcheuses évoquées par Gélieu ne les perturbent pas.
Gélieu, Bernard de, Journaux et Livres de raison, AEN LRJ-24 , fol 35 et suiv.
Wyder, Bernard, Edmond Bille, Une biographie, Genève : Editions Slatkine, 2008.