Le Collège latin est construit en 1835, selon les plans de l’architecte Anton Froelicher, à l’emplacement de l’ancien Bassin. Sur les façades nord et sud, des niches sont aménagées pour y accueillir des statues. Mais ce n’est qu’en 1873 que ces statues sont exécutées.
Les neuchâtelois profitent en effet de la présence à Neuchâtel du sculpteur Charles Iguel. Actif à Paris où il mène une brillante carrière, Iguel s’installe en 1871 à Neuchâtel où il est naturalisé deux ans plus tard. En 1871, il réalise déjà le fronton du collège de la Promenade.
Une souscription est lancée pour financer la création des statues. 5’000 francs sont ainsi récoltés et la Ville donne 9’000 francs pour compléter le financement. Sur la façade sud, les statues représentent quatre personnages représentatifs de l’histoire neuchâteloise : le pasteur Jean-Frédéric Ostervald, le juriste Emer de Vattel, le chancelier Georges de Montmollin et le chanoine Hugues de Pierre. Ce dernier personnage se révèle par la suite être totalement imaginaire.
Avant de passer à l’exécution des statues en pierre, Charles Iguel en exécute des modèles en plâtre. La Municipalité les lui achète et les remet au musée de la ville. Le rapport du Conseil général (1875) précise : « Ces statues, en attendant une place plus convenable, ont été déposées dans un salon qui contient les portraits des anciens souverains ».
Hugues de Pierre, la tête tonsurée, porte une grande barbe. Il est vêtu de l’habit monastique, ainsi que d’un scapulaire à capuche. Il tient de sa main gauche un ouvrage relié, et dans sa main droite une plume (cassée) faisant référence à la Chronique dont il serait l’un des auteurs. Son pied repose sur un casque médiéval, allusion aux récits des batailles qui figurent dans la Chronique.
Le chanoine Hugues de Pierre occupe au 19e siècle une place prépondérante dans l’historiographie neuchâteloise. Il est alors considéré comme l’un des quatorze chanoines de la Collégiale de Neuchâtel ayant rédigé la fameuse Chronique des Chanoines. Il est décrit comme « l’écrivain le plus spirituel, le plus remarquable de toute la pléiade de ces chroniqueurs » (MN 1873 p. 35), auteur de textes « d’une vérité saisissante, pleines de vivacité, d’éclat, d’une verve incomparable, et d’un coloris qu’on trouve bien rarement dans les chroniques » (MN 1873, p. 36). Ce texte sert à la construction identitaire du canton dans la seconde moitié du 19e siècle en inscrivant Neuchâtel dans la mythologie suisse.
Arthur Piaget démontre le 25 octobre 1895 que la Chronique est en réalité un habile pastiche, provoquant la surprise et de longs débats parmi les historiens neuchâtelois. Jules Jeanjaquet prouvera quelques années plus tard qu’Abram de Pury est l’auteur de ce faux. Les Mémoires du chancelier Georges de Montmollin, apocryphes eux aussi, ont servi à appuyer la fausse Chronique des chanoines.
Besson, Arnaud, Le moyen âge mythique des neuchâtelois : Réécrire l’histoire pour devenir suisse: sur les traces d’un faussaire du XVIIIe siècle, Neuchâtel : Alphil, 2014.
Jeanjaquet, Jules, « L’auteur de la « Chronique des chanoines » et des « Mémoires du chancelier de Montmollin » », Musée neuchâtelois, 1951, p. 3-14, p. 43-54.
Morerod, Jean-Daniel, « La postérité lexicographique d’un faux du XVIIIe siècle, la « Chronique des chanoines de Neuchâtel » : remarques sur la tradition de dater l’apparition des mots français », Revue de linguistique romane, 1999, pp. 347-377.
Piaget, Arthur, « La « Chronique des chanoines de Neuchâtel » », in : Pages d’histoire neuchâteloise, Neuchâtel : Société d’histoire et d’archéologie, 1935, pp. 33-90.