Avec octobre, la population en entier attendait les ordres pour commencer les vendanges. Si les membres des autorités terminaient leurs délibérations à propos de la levée des bans par un banquet, les propriétaires et les vignerons donnaient le dernier coup de main à la remise en état du matériel vinaire. Les pressoirs avaient été démontés, nettoyés, et remontés en prenant soin de graisser vis et écrous et de jointoyer les tables afin de limiter les fuites. Les gerles, quant à elles, avaient été gorgées d’eau dans les fontaines afin de les rendre étanches. Il en allait de même des cuves. Bref, tout un branle-bas de vendange agitait la ville qui voyait les chars à brecets sillonner ses rues. Conduits par des charretiers, ceux-ci effectuaient sans cesse des aller et retours entre les vignes et les pressoirs. A l’abbaye de Saint-Jean, au gros des vendanges, six chars à brecets sillonnent les routes, amenant jusqu’à trois cents gerles par jour aux pressoirs.
Le char à brecets est le char traditionnel de vendanges sur lequel il était possible de placer entre six et douze gerles. Le brecet à vendange a des rainures pour retenir les gerles. Les six gerles disposées ici sur le char portent les armoiries de plusieurs communes viticoles neuchâteloises. Sous le brecet est suspendu un ténéri, soit une perche qu’on introduit dans les anses de la gerle pour que deux hommes puissent la porter sur les épaules.
Dès la rupture du ban, les troupes de vendangeurs partaient à l’assaut des parchets. En ville de Neuchâtel, durant les deux jours précédents l’ouverture officielle des vendanges, on récoltait le produit des vignes privilégiées, soit celles dont le périmètre avait été défini en 1630 afin de mettre fin au désordre généré par une multitude de permissions contradictoires. Ce périmètre correspondait à peu près au territoire sur lequel la ville exerçait son droit de police. Toutefois, au sein même de cet enclos, certaines vignes jouissaient de privilèges encore plus étendus qui laissaient à leurs propriétaires le droit de les vendanger quatre jours avant la levée officielle du ban. Parmi elles, on peut citer les vignes de l’Isérable, soit celles qui ont cédé leur place à l’Hôtel DuPeyrou.
Et les troupes des vendangeurs, après des journées de labeur, rentraient le soir en ville. Là, autour des quantités de pressoirs qui occupaient les rez-de-chaussée de nombreuses maisons, où le travail se poursuivait vingt-quatre heures sur vingt-quatre durant deux à trois semaines, parfois même au-delà de la vendange elle-même, ils venaient soutenir le moral des pressureurs, en racontant des histoires, en chantant, en buvant quelques verres de moût ou de vin.
Allanfranchini, Patrice, La fête des vendanges de Neuchâtel des origines à l’an 2000, Neuchâtel: Éditions de la fête des vendanges, 2000.