La fin du 19e siècle et le début du 20e siècle voient une augmentation considérable de la consommation d’alcool, notamment dans les couches populaires. Aussi se développe, principalement dans les classes moyennes et supérieures, un mouvement antialcoolique qui tente de lutter contre ce que l’on nomme à l’époque le « mal héréditaire du prolétariat ». Organisé dès 1877 autour de la Croix-Bleue, plusieurs associations et organisations militent pour une régénération morale. Prônant d’abord la tempérance, le mouvement antialcoolique recommande bientôt l’abstinence totale. Gagnant certains milieux artistiques, les thèses des abstinents trouvent un écho dans la littérature et la peinture. Comme Hodler ou Anker, Gustave Jeanneret peint ainsi l’image du buveur déchu.
Assis sur une chaise, un homme âgé appuie pesamment sa tête sur ses mains croisées soutenues par sa canne. Posés sur la table devant lui, une carafe et un verre évoquent discrètement son penchant pour l’alcool. Sa veste noire et le fond sombre du tableau font ressortir son visage : les traits marqués par l’alcool et le regard vide expriment la solitude, la tristesse et la misère du buveur.
Plutôt connu pour sa peinture de paysage, Gustave Jeanneret s’est aussi essayé à la peinture de genre. Ce tableau est présenté en 1882 à l’exposition de la Kunstverein organisée à Bâle. Le titre original, « L’ivrogne », classe clairement ce tableau dans les œuvres a portée sociale, dénonçant la misère et l’alcoolisme répandu dans la population pauvre. Effrayé peut-être par sa témérité, le peintre présente à nouveau son tableau à Neuchâtel en 1884 en modifiant l’intitulé : « Le petit verre ». Il atténue ainsi l’aspect critique du sujet pour se cantonner à une scène de genre pittoresque moralisatrice.
Ruedin, Pascal, Gustave Jeanneret 1847-1927, Hauterive : Ed. Gilles Attinger, 1998, pp. 57-58, 71.
Trechsel, Rolf, « Abstinence », in : Dictionnaire historique de la Suisse (DHS).
Tanner, Jakob, « Alcoolisme », in : Dictionnaire historique de la Suisse (DHS).