Dès le début du 18e siècle, la raréfaction du bois pousse les Montagnons à se servir de la tourbe des marais pour chauffer leurs poêles. Il faut dire que le climat des hautes vallées est particulièrement rigoureux et que les blocs de tourbe, découpés au moyen d’une sorte de bêche et convenablement séchés, offrent un pouvoir calorifique comparable à celui du bois.
L’extraction s’intensifie à mesure que s’accroissent les besoins de combustible : d’une part, la population augmente fortement ; d’autre part, l’horlogerie et la dentellerie, principaux moteurs du développement, requièrent des locaux bien chauffés.
Dans le années 1930, le chauffage central reste l’exception, d’autant qu’il fait appel à la houille, un combustible importé. Le commun des mortels se contente du poêle traditionnel, qui implique de fréquents va-et-vient à la cave ou au galetas, lieu d’entreposage du bois et de la tourbe.
La tourbe séchée est livrée dans un chariot spécial aux hautes parois évasées, la « bauche ». A la fois moyen de transport et mesure de capacité, celle-ci contient généralement trois mètres cubes, parfois deux ou quatre. Une porte latérale facilite la manutention.
Une « bauche » traditionnelle et son cheval stationnent sur la rue du Progrès à La Chaux-de-Fonds, en face de la maison qui porte le N° 41. Les deux robustes gaillards qui ont convoyé le combustible appartiennent sans doute au monde paysan ; ils posent brièvement pour le photographe.
Equipés chacun d’une grande hotte en osier, ils achèvent de vider le chariot, dont ils transportent le chargement à l’intérieur d’une maison toute proche. L’opération touche à sa fin et l’équipage pourra bientôt reprendre la route, sans doute en direction de La Sagne ou des Ponts-de-Martel.
Le cliché renvoie à un monde à la fois proche et révolu. Le cheval n’a pas encore été évincé par le moteur à explosion et la rue n’est sans doute pas encore goudronnée.
En dépit des avancées techniques du 19e siècle et de la première moitié du 20e, le quotidien des Montagnons n’évolue que très lentement. Les guerres mondiales, les crises économiques et la pauvreté retardent l’accès du peuple au confort et à la consommation de masse.
La fourniture de tourbe par les agriculteurs n’est qu’un des aspects de l’interpénétration ville-campagne. Nombre de paysans livrent quotidiennement le lait et le beurre au domicile des citadins ; à l’opposé, ceux-ci se promènent régulièrement à la campagne. Les liens familiaux et amicaux aidant, nombre d’ouvriers prennent part aux travaux de la terre.
Cop, Raoul, « L’or noir des Montagnes neuchâteloises », in: Jura neuchâtelois : la Montagne des Montagnons, La Chaux-de-Fonds: Les Ed. du Quotidien, 1990, ouvrage non paginé.