La période qui suit la Seconde Guerre mondiale est marquée du sceau de la prospérité économique. Aussi la population de La Chaux-de-Fonds s’accroît-elle fortement, en particulier grâce à l’immigration. Il s’ensuit un boom de la construction ; les grands immeubles locatifs poussent comme des champignons, surtout à l’ouest de la ville.
L’Italie est la principale pourvoyeuse de main-d’œuvre étrangère. Ses ressortissants spécialisés dans les métiers du bâtiment avaient déjà largement contribué au formidable développement de La Chaux-de-Fonds et du Locle bien avant 1900, mais les années noires de la première moitié du 20e siècle avaient provoqué de nombreux retours au pays.
Après la guerre, les Italiens deviennent majoritaires sur les chantiers ; beaucoup d’entre eux, au bénéfice du statut de saisonnier, ne séjournent en Suisse que du printemps à l’automne. D’autres vont grossir les rangs des ouvriers et ouvrières d’usine, des travailleurs de la restauration et du commerce, ainsi que des employés de maison.
La photographie est prise à La Chaux-de-Fonds, dans le bâtiment « Building 54 », appelé actuellement « le Building » (rue du Bois-Noir, Nos 15 à 23). Cet immeuble du quartier des Forges est considéré alors comme la plus grande unité locative de Suisse.
Le soir du 16 septembre 1954 est fêtée la « levure », soit la fin du gros œuvre, en l’occurrence l’achèvement du dixième étage. Un modeste repas rassemble tous les acteurs de la construction ainsi que les autorités locales et la presse.
Dans un local aux murs de briques encore dépourvus d’enduit, des tables ont été dressées. Un peu engoncés dans leur costume du dimanche et sans doute mal à l’aise devant l’objectif du photographe, les maçons, transalpins en majorité, s’apprêtent à déguster un côte-du-Rhône en attendant la collation.
Fernand Perret est l’auteur de riches séries de photographies prises dans des fabriques et des magasins pour le compte de chefs d’entreprise. Ce cliché fait partie d’un reportage du même type. Il met en lumière des hommes qui ont beaucoup donné à la ville, mais peu reçu en contrepartie.
Il faut dire que la Suisse de l’après-guerre, marquée par deux décennies de repliement, voit l’afflux d’Italiens comme une intrusion. Les nouveaux venus essuient des remarques désobligeantes, voire des insultes. Les milieux modestes voient d’un mauvais œil la concurrence de ces hommes et de ces femmes aussi durs à la besogne que peu exigeants. D’ailleurs, l’intégration n’est pas le principal souci des immigrés, puisqu’ils travaillent souvent avec des compatriotes et qu’ils disposent de leurs propres associations.
En outre, pour un grand nombre d’Italiens, le séjour helvétique n’est qu’un pis-aller, une parenthèse avant le retour définitif dans la Péninsule. Ils se privent de tout au profit de leur famille restée au pays ou dans le but de construire une maison au village natal.
L’Impartial, 17 septembre 1954.
Zosso, Françoi, Marsico, Giovanni Emilio, Spoletini, Giovanni, Le retour des Bâtisseurs – Des Italiens et des Neuchâtelois racontent la dernière grande immigration italienne à La Chaux-de-Fonds et au Locle entre 1945 et 1985, Le Locle: G. d’Encre, 2007.