La nature-même du sous-sol géologique formé d’alluvions sableuses et graveleuses comblant l’ancien lac tardi-glaciaire du Val-de-Travers entraine des inondations fréquentes de la zone située à l’est du village de Fleurier. Au printemps 1771, les dégâts causés aux pâturages par l’arrivée de matériaux charriés par la rivière sont particulièrement importants. La Principauté ordonne la construction d’un canal modifiant le tracé de l’Areuse pour réguler l’écoulement de la rivière. L’ouvrage est construit à l’automne de la même année, par « reutes » c’est à dire corvées. L’effort obligatoire fourni par les communiers ne suffit pas et l’on engage des ouvriers pour travailler à cet ouvrage. Le partage des frais entre les trois communautés de Fleurier, Boveresse et Môtiers donnera lieu à une longue résistance de la part de la communauté de Fleurier qui refuse de payer sa part, arguant que le nouveau canal ne lui est d’aucune utilité.
Ce dessin aquarellé montre la partie est de la localité et des pâturages situés aux confins du territoire de Fleurier. Un subtil jeu de nuances de couleurs indique la nature des terrains. Les bâtiments figurant sur le plan sont, pour certains d’entre eux, encore identifiables. Dans l’espace situé dans la boucle de l’Areuse sont représentés les pâturages, les vergers et les espaces cultivés. Cette dernière zone présente une alternance de bandes vertes et blanche indiquant les champs et, en blanc, les espaces laissés en jachère, appelés « fins ». Le cours de la rivière est précisément reporté ainsi que ses deux affluents: le Buttes et le Fleurier. On voit les barrages aménagés sur les berges de la rivière par les communautés ou des particuliers pour tenter d’endiguer les débordements. Le notaire et arpenteur Abram Cathoud a relevé le tracé du nouveau canal construit en automne 1771. Le tout s’appuie sur un cartouche entouré de feuilles d’acanthes entremêlées d’une guirlande de fleurs contenant titre et textes.
Nous devons ce plan inédit à Jean-Jacques Berthoud, (1711-1784), de Plancemont, fils de l’architecte Jean Berthoud et frère du célèbre horloger Ferdinand Berthoud. Jean-Jacques passe une partie de sa vie à Yverdon comme maître de dessin. Il réalise plusieurs plans cavaliers et de belles vues à vol d’oiseau, entre autres, des villes d’Yverdon, de Neuchâtel et du Val-de-Travers. Plus qu’un simple plan d’arpenteur, ce document allie précision et exquise ornementation. Son intérêt réside dans la représentation précise du lit de l’Areuse à l’époque et dans les informations qu’il nous livre sur les moyens très tôt mis en oeuvre pour se prémunir contre les inondations. Durant les deux siècles qui ont suivi, l’Areuse a subi de nombreuses corrections et travaux dans le but de régulariser et canaliser son cours.
Allanfranchini, Patrice, Neuchâtel 1642-1942, Trois siècles d’iconographie, Chézard-Saint-Martin : Ed. de la Chatière, 2005.
Schaer, Jean-Paul, et alii, « Val-de-Travers, géologie et évolution morphologique », in : Le Val-de-Travers une région une identité, Hauterive ; Editions Gilles Atttinger, 2008.
Thévenaz, Louis, « D’Yverdon, au bout du lac… », Musée Neuchâtelois, 1945, pp. 112-118.
Boy de la Tour, Maurice, La gravure neuchâteloise, Neuchâtel : Delachaux et Niestlé, , 1928.
Archives de l’Etat de Neuchâtel (AEN), cartons bleus, rubrique « Cours d’eau ».