Les portraits photographiques sont d’abord réalisés avec la technique du daguerréotype, mise au point entre 1835 et 1837. Mais les temps de pose très longs, la fragilité du support, son prix et l’impossibilité d’en multiplier les exemplaires freinent sa diffusion. En 1854, André-Adolphe-Eugène Disdéri (1819-1890), propriétaire d’un grand atelier photographique à Paris, crée le portrait-carte : utilisant les derniers progrès de la photographie, notamment le négatif sur plaque de verre et le papier albuminé, il effectue grâce à un châssis mobile jusqu’à huit portraits différents du même modèle sur un seul négatif. Une seule opération est ainsi nécessaire pour développer plusieurs clichés, permettant de proposer des portraits au format 6 x 9 cm ou 10 x 15 cm à un prix abordable. Ce nouveau procédé autorise une large diffusion de la photographie auprès d’une clientèle bourgeoise qui se rend chez le photographe, en studio, pour une prise de vue.
Devant un décor de toiles peintes représentant un paysage arborisé, Louise-Marie Pury (1844-1913) et ses six enfants posent dans une attitude sérieuse et un peu figée. Les enfants ont pris place sur un banc rustique en rotin, qui s’accorde avec le décor. L’ainé des garçons, à droite, est négligemment assis sur un rocher en carton pâte. Quelques accessoires (un violon, un petit panier de fleurs) mis entre les mains des figurants complètent la mise en scène. L’épreuve photographique est collée sur un carton fort pré-imprimé aux coins arrondis. Au bas de l’image, le nom et l’adresse du photographe (rue de l’Hôpital 17) font office de signature.
La photographie satisfait le goût du public pour l’exactitude et le réalisme du cliché répond aux canons esthétiques en vigueur dans la peinture académique de l’époque. Mais l’acte photographique ne s’est pas encore banalisé : il nécessite de se rendre chez le photographe. Les gens y viennent soigneusement habillés et posent dans un cadre artificiel. L’esthétique de ces portraits se codifie rapidement et les impératifs de rentabilité supplantent le plus souvent les velléités de rendre compte de la personnalité du sujet. Aussi ces photographies représentent moins le caractère de l’individu que son statut social, sa profession ou sa fonction. Les gens posent en exhibant les signes de leur profession ou les emblèmes de leur rang.
Lavédrine, Bertrand, (re)Connaître et conserver les photographies anciennes, Paris : Comité des travaux historiques et scientifiques, 2007, pp. 122-135.
Frizot, Michel (dir.), Nouvelle histoire de la photographie, Paris : Larousse-Adam Biro, 2001.
Bajac, Quentin, L’image révélée. L’invention de la photographie, Paris : Gallimard-RMN, 2001.