A l’aube du 20e siècle, la vallée des Ponts-de-Martel est le principal producteur de tourbe du haut Jura et fournit aussi d’autres régions de Suisse . L’exploitation a cessé d’être l’apanage des paysans et, depuis 1892, les principaux entrepreneurs se servent d’une machine à vapeur pour produire un combustible de qualité homogène en mélangeant la bonne tourbe des profondeurs et celle proche de la surface, plus légère et donc moins appréciée.
Une fois l’écoulement des eaux assuré, la tourbe est mise à nu et l’extraction commence par une extrémité du terrain. Les ouvriers arrachent la tourbe à la force des bras sur toute la hauteur du front de taille et la jettent sur une bande transporteuse qui alimente un appareil servant à déchiqueter et brasser le matériau. Les deux engins sont actionnés par une machine à vapeur.
La tourbe triturée sort sous la forme d’un long boudin ; on le découpe en tronçons qu’on laisse sécher en plein air.
Au pied du front de taille, une équipe de manœuvres patauge dans la tourbe fraîchement abattue. En bras de chemise, protégés du soleil par un chapeau et de la saleté par un tablier, ils chargent les blocs sur la rampe transporteuse. D’autres ouvriers se tiennent deux mètres plus haut, à la surface du marais, à côté des machines.
La machine à vapeur et la malaxeuse, conçues toutes deux pour être déplacées, sont accouplées sous un abri sommaire. Entre les engins et le bord du front de taille, des branches et des fragments de troncs s’empilent. Ces « kerbes », aux formes tourmentées, sont des restes d’arbres pris dans la tourbe ; on les utilise peut-être pour chauffer la machine à vapeur.
Vers 1900, la machine à vapeur est l’une des principales sources de force motrice ; elle incarne dans une large mesure le modernisme. L’irruption de cet engin dans le cadre apparemment immuable des marais a de quoi surprendre et on comprend que la scène ait séduit le photographe.
Le nouveau visage des Ponts-de-Martel, où se mêlent nature et industrie, a été immortalisé sous forme de carte postale. Mais au-delà du pittoresque, le choix du sujet dénote sans doute aussi une certaine fierté suscitée par le nouveau type de production et par son ampleur.
Cop, Raoul, « L’or noir des Montagnes neuchâteloises », dans Jura neuchâtelois : la Montagne des Montagnons, La Chaux-de-Fonds : Les Ed. du Quotidien, 1990, ouvrage non paginé.