Sous l’Ancien Régime, le globe constituait un meuble recherché, qui ornait les bibliothèques privées et publiques. La Bibliothèque de la Ville acquit un globe terrestre et un globe céleste en 1793 ; l’année suivante, elle commanda des piédestaux pour rehausser ces deux acquisitions, sans doute moins destinées à être utilisées qu’à être admirées. Le globe terrestre a disparu, abandonnant son compagnon, qui demeure le dernier témoignage connu du premier mobilier de la Bibliothèque.
L’objet décrit l’ensemble des astres connus jusqu’en 1790. Il permet, en outre, de définir la longitude et la latitude des étoiles, et de connaître les astres visibles en chaque jour de l’année d’un point précis de la Terre. Il est signé, à l’hémisphère sud au-dessus de la constellation du Sculpteur : « Globe céleste dressé par ordre du Roi en 1751 par le Sr. Robert de Vaugondy. Nouvelle édition augmentée des Constellations de Mr. Delacaille et de plus de mille étoiles par Mr. Méchain de l’Académie Royale des Sciences en 1790. »
La carte du ciel, gravée au burin et à l’eau-forte, et tirée sur papier vergé, recouvre une sphère de bois creux, enduite de plâtre poli ; avant le collage sur la sphère courbe, la feuille plane gravée a été découpée en douze fuseaux et deux calottes pour les pôles. Le globe, monté sur une table d’horizon octogonale avec boussole (l’aiguille a disparu, laissant un trou au point de giration), marque l’orientation des vents, les mois de l’année et les signes du zodiaque. Les représentations graphiques des constellations, au trait ou en pointillé, ont été légèrement ombrées à l’huile, en glacis brun. Le ciel, partagé en deux zones par l’écliptique, se détache en glacis brun, mais plus pâle ; il a été grossièrement rafraîchi au 19e siècle. Les constellations sont représentées par des animaux (Grande Ourse), des personnages mythologiques (« Antinoüs »), ou des instruments scientifiques (Le Grand Triangle) et sont tous nommés en français (l’ « Ecu de Sobieski », « La Mouche », « La Licorne », etc). Des lettres grecques identifient les étoiles, sauf quelques-unes nommées en français et annotées (« Elle ne paroit plus »), parfois avec la date de leur découverte. Le cercle des heures, en cuivre gravé au burin avec deux flèches de fer, est divisé en deux segments I-XII subdivisés en quarts d’heure ; il somme l’anneau méridional en cuivre gravé au burin, qui se divise en quatre segments gradués en degrés 0-90. Ce dernier comporte les inscriptions « LATITUDE », « ELEVATION DU POLE », « MERIDIEN ». Treize constellations nouvelles, comme celle du Sculpteur, métaphorisée par un artiste taillant un buste sur piédestal, réunissent des étoiles vaguement structurées ; un géographe, Nicolas-Louis de Lacaille les a inventées en 1752 pour « occuper » une partie du ciel austral jugée trop peu fournie! Lacaille, qui a signé cette version amendée du globe Vaugondy, en a profité pour y « marquer » son invention. Ici, l’astronomie reste encore soumise à un principe esthétique, celui de la symétrie.
Ce globe exemplifie pleinement l’esprit des Lumières. Son producteur, Didier Robert de Vaugondy (1723-1786), appartient à une famille de géographes célèbres ; il rédige l’article « Globe » de l’Encyclopédie de Diderot. Géographe ordinaire du roi, il jouit d’un prestige qu’il sait pleinement utiliser à des fins commerciales. Il acquiert plusieurs fonds de fabricants de cartes, qui servent à achalander une échoppe très courue au quai de l’Horloge près du Louvre. Dès 1751, il se lance dans la production de globes en séries, à partir d’une commande destinée aux vaisseaux de la marine royale. Le premier globe mécanique céleste français en papier est présenté à l’Académie des Sciences en 1727. En 1753, Vaugondy s’en inspire et lance une souscription pour la production de globes en papier exacts, mais de réplication aisée, accessibles en plusieurs grandeurs et dans une large gamme de prix – de 460 livres à 1’000 livres. C’est grâce à lui que l’astronomie se vulgarise auprès des élites. La technique d’exécution du globe reste la même, seule la présentation plus ou moins luxueuse varie l’offre standardisée. Vaugondy adapte constamment les descriptifs aux dernières découvertes scientifiques. Il cède son fonds à Charles-François Delamarche (1740-1817) ; le globe de Neuchâtel a été acquis auprès de cet entrepreneur, qui vante encore ce produit dans son catalogue en 1815.
Un membre de la famille de Meuron sollicite le transfert des deux globes au collège de Neuchâtel en 1834. La commission de la bibliothèque répond que ces deux globes, offerts « par M. de Lesperut », doivent demeurer dans l’enceinte de la bibliothèque, selon le vœu du donateur. Lespérut avait été, à l’époque de l’occupation française, un gestionnaire impérial très apprécié de la principauté, que la Prusse sut épargner en 1815. On le crédite du don des deux globes pourtant acquis en 1793, époque où Lespérut n’était encore qu’un jeune homme sans connexion avec Neuchâtel.
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