Dans un canton qui se caractérise plus par son industrie que par la présence de hauts-lieux du tourisme, la promotion de la région s’est souvent faite par le truchement de films de commande. Des entreprises telles qu’Universo à La Chaux-de-Fonds ou Dubied à Couvet font ainsi réaliser des bandes faisant non seulement l’éloge de leurs produits mais aussi des lieux où ils sont manufacturés. Réalisé en 1969 pour le compte de Portescap, entreprise qui fut longtemps l’un des fleurons de l’industrie chaux-de-fonnière et dont le directeur, Georges Braunschweig, fonda le Club 44, « Vivre sa ville » offre un portrait très global de la Métropole horlogère. La diffusion de ce film tout à la gloire de La Chaux-de-Fonds est confiée à l’Office du tourisme de la ville. L’auteur du film, André Paratte, né à Saignelégier en 1931, fonda en 1968 sa propre maison de production, Paratte Films, d’abord installée au Locle, puis, dès 1995, à Chézard-Saint-Martin, au domicile du cinéaste. Sa production, faite de commandes et de réalisations plus personnelles auxquelles son épouse Jacqueline collabore depuis plusieurs années, en fait l’un des cinéastes neuchâtelois les plus importants de la seconde moitié du 20e siècle.
« Vivre sa ville » dresse le portrait, en musique mais sans commentaire, de la ville de La Chaux-de-Fonds. Par des images simples et explicites, le cinéaste décrit les activités multiples de la cité: industrie (notamment horlogère, avec une incursion dans les ateliers Portescap) et commerce, sports d’hiver et d’été (entre autres à la patinoire et à la piscine des Mélèzes), vie culturelle (notamment au Musée des Beaux-Arts ou à la salle de musique) et artistique, fêtes populaires (braderie, cortège des promotions). L’environnement naturel, fait de forêts et pâturages, montagnes et rivières est aussi évoqué.
La musique du film est due au talent du compositeur belge Emile de Ceunink (1935-1996). Le film comporte quelques cartons de textes (français, allemand, anglais, italien, espagnol).
Entreprise créée en 1931 par le Chaux-de-Fonnier Georges Braunschweig (1892 – 1975) et un autre diplômé de l’EPFZ, Frédéric Marti, Portescap eut souvent recours au cinéma pour sa promotion, faisant parfois appel à des réalisateurs étrangers, tel que le célèbre animateur parisien Arcady. Plusieurs films de l’entreprise destinés à l’exportation sont conservés, par le DAV, en différentes versions linguistique. Alliant musique et images mais dénué de tout commentaire, « Vivre sa ville» était promis à une large diffusion. Un double dessein présidait à cette commande : le besoin de faire connaître l’entreprise à des partenaires commerciaux et au personnel, dans le cadre du recrutement.
Le Littoral neucha?telois du 22 de?cembre 1972 relate de quelle manière le directeur-général de l’entreprise, Philippe Braunschweig, passa commande au cinéaste :
Faites exactement ce que vous voulez; montrez la ville, sa vie réelle; une seule condition: qu’on n’y parle pas, car il ira dans toutes les parties du monde et les traductions, ma foi! Or on parlait a? un converti. L’image, l’image seule: Je vais pouvoir prouver que le cinéma est en lui-même un langage, sans avoir besoin de la parole voire du sous- titre. Il le prouva. Son film, 22 minutes, est très exactement la découverte d’un rythme, de contrastes suffisants pour que l’on ressente, immédiatement, la pulsation même de la vie. Activités professionnelles, (comment on gagne sa vie), loisirs (comment on dépense ce que l’on gagne), nature (comment on s’évade du quotidien tentaculaire), tout cela tend a? démontrer, mais par l’authenticité? de l’image, qu’une ville comme La Chaux-de-Fonds et une région telle que le Centre-Jura sont très exactement les cites et pays idéaux parce qu’encore a? la mesure de l’homme. Alphonse Allais disait: « Pour éviter l’enfer des villes il n’y a qu’a? les construire a? la campagne! » De cette boutade, La Chaux- de-Fonds, Le Locle ont fait une réalité?: elles sont des villes, des vraies, mais bâties pre?cise?ment a? la campagne! Il n’y a justement pas de cloison étanche entre ce que l’on fait a? l’usine durant le jour, et les exercices salutaires du dimanche ou du soir. On sort de la fabrique, du bureau, de l’école, de chez soi et on est tout de suite dans l’air pur, la forêt, le pâturage. Mais le plus étonnant, c’est que les spectateurs chaux-de-fonniers ou jurassiens d’Andre? Paratte disaient a? l’unanimité?, en sortant: « – Mais quoi, c’est a? nous, cela? On vit dans un si beau et si divers pays? Mais c’est prodigieux… ».
Joseph, Aude, Neuchâtel, un canton en images : Filmographie tome 2 (1950 – 1970), à paraître.
Nussbaum, J.-M., «De?couverte d’un cine?aste suisse: Andre? Paratte», in: Le Littoral neucha?telois, 22 de?cembre 1972.