Neuchâtel-Monruz est l’autre gisement du Tardiglaciaire à avoir été découvert sur le tracé de l’autoroute A5, après celui d’Hauterive-Champréveyres, dont il est contemporain et distant d’un kilomètre. Il a été fouillé de 1989 à 1992 sur près de 400 m2. L’excellente conservation des restes d’une vingtaine de campements successifs de chasseurs-cueilleurs en fait une référence européenne pour cette période, qui s’étend du Magdalénien (16’000 à 12’000 avant J.-C.) à l’Azilien (11’500 à 10’000 avant J.-C.)1. Plus d’une quarantaine de structures de combustion (foyers) ont été reconnues, accompagnées de nombreux vestiges lithiques, de restes osseux ainsi que de nappes d‘ocre rouge. Parmi le mobilier récolté, plusieurs éléments de parure perforés, de dimensions réduites, ont été découverts : il s’agit de perles, de plaquettes et de trois figurines féminines en jais, un bois fossile. Réalisées il y a plus de 15’000 ans, ce sont les plus anciennes représentations de femmes connues en Suisse.
Les figurations féminines du Magdalénien mettent en lumière un courant artistique homogène sur l’ensemble de l’Europe, du Portugal à la Pologne. Le schématisme abstrait qui les caractérise est considéré comme une stylisation des représentations plus anciennes du début du Paléolithique supérieur. Nues et sveltes, elles sont constituées d’un assemblage de courbes et de contre-courbes. La tête et les pieds sont absents ; la représentation se limite à la partie médiane du corps, la plupart du temps de profil. Parfois, les bras ou la poitrine sont présents, le fessier est toujours proéminent. Aucun détail figuratif n’est représenté. On en trouve autant sur des parois rocheuses, que gravées sur des plaquettes en pierre (schiste, calcaire) ou sous la forme de figurines en matières dures d’origine animale (ivoire, os, bois de cervidés), en pierre (silex, grès, schiste) ou sur des matériaux plus rares comme le jais ou l’ambre jaune.
Les figurines de Monruz sont divisées en trois parties : le tronc, le fessier et les jambes. La perforation est réalisée sur la partie inférieure du tronc qui a une section rectangulaire. La ligne du dos est légèrement incurvée ou plus sinueuse et l’angle entre le dos et le fessier est toujours bien marqué. Les fesses ne sont pas dissociées, tout comme les jambes, jointes ensemble. Ces dernières sont ployées et suggèrent une position assise.
Des traces de travail sont visibles sur la partie dorsale des figurines, sous la forme de stries transversales. Les perforations ont été obtenues par rotation depuis chacune des deux faces des pièces. Leur usure latérale suggère que les figurines devaient être cousues sur un vêtement plutôt que portées en pendentif, auquel cas l’usure aurait été marquée au sommet de la perforation. Des déchets de fabrication découverts sur le site montrent que ces pièces ont été réalisées sur place avec une matière première importée.
Au début du 20e siècle, ces représentations féminines étaient qualifiées de « Vénus » ou « Dames » paléolithiques. Ces appellations renvoient à des perceptions propres aux systèmes de pensée modernes et ne correspondent certainement pas à la réalité préhistorique. Si le caractère sexuel de ces représentations paraît évident, leur(s) signification(s) reste(nt) inconnue(s). La fascination provoquée par ces figurations a conduit à de nombreuses spéculations : objets magiques ou religieux en lien avec la sexualité, la fertilité, la fécondité, la grossesse, l’abondance, la protection, etc. Pour certains préhistoriens, il pourrait s’agir de représentations de rites en lien avec le passage des jeunes filles à l’âge adulte et à une forme d’encadrement social de la sexualité féminine au Magdalénien. Malheureusement, il ne sera peut-être jamais possible d’avoir une réponse définitive, le contexte de création étant irrémédiablement perdu.