La légende de Guillaume Tell se forge au XVe et XVIe siècles. Elle apparait pour la première fois de manière complète vers 1470 dans le Livre blanc de Sarnen, une chronique qui relate la genèse de l’alliance des montagnards des Waldstätten. Fait étonnant, ce récit se propage assez rapidement hors de la Confédération. Neuchâtel est le premier pays romand intéressé par le mythe de Tell. C’est en effet aux Archives de l’Etat que se trouve la première traduction française connue d’un texte relatif aux légendes suisses, celle du Jeu de Tell. Elle est vraisemblablement l’œuvre d’un ancien chancelier neuchâtelois, Pierre Chambrier, vers 1565. Seul le premier quart du texte d’origine nous est parvenu dans sa version française. A la même époque, en 1571-1572, on trouve dans le registre de la Reconnaissance des bourgeois de Cornaux et Cressier la première représentation iconographique connue dans la Suisse romande actuelle de l’épisode du tir de la pomme.
Le scribe a dessiné la scène dans la partie inférieure de la page. A droite, Guillaume Tell, debout, coiffé d’un chapeau à plume, l’arbalète en joue, vient de tirer. A gauche, son fils est adossé à une lettrine. La pomme posée sur sa tête est transpercée par la flèche. Tell a caché dans sa jambière une deuxième flèche destinée au bailli Gessler.
La scène n’a aucun lien avec le texte, constitué des reconnaissances de biens des villages de Cornaux et de Cressier (document administratif dressant la liste des tenanciers des terres du seigneur).
Le dessinateur n’a probablement pas recopié la scène d’une autre œuvre. Il a en effet choisi de représenter le moment après le tir, alors que la plupart des artistes préfèrent montrer Guillaume Tell en train de viser, dramatiquement plus intéressant.
Ce document, comme la traduction du Jeu de Tell, a été récemment découvert aux Archives de l’Etat de Neuchâtel. Il manifeste l’intérêt des Neuchâtelois pour les mythes suisses, quelques années après l’occupation du comté par les cantons confédérés, entre 1512-1529. Le personnel administratif du comté, dont les contacts avec la Confédération étaient plus fréquents, a pu se familiariser avec l’histoire et l’esprit des douze cantons. C’est ce qui explique probablement la présence de ce dessin dans un tel registre. Notons que la réception de l’histoire de Tell a connu des avis plus critiques. En 1832, Guillaume Tell le tyrannicide n’est plus en odeur de sainteté à Neuchâtel : après la tentative révolutionnaire manquée, les familles patriciennes craignent que Tell ne servent d’exemple dans la rébellion contre l’autorité du roi de Prusse. Lors d’une réception à Lucerne, en présence des représentants des cantons suisses, un ministre neuchâtelois, Chambrier, crée le scandale : il refuse de porter un toast à Guillaume Tell et déclare : « Je ne bois jamais à la santé d’un assassin !».
Bartolini, Lionel, « Une traduction neuchâteloise du Jeu de Tell (vers 1565) », in : Guillaume Tell et la Libération des Suisses, Lausanne : Société d’Histoire de la Suisse romande, 2010, pp. 165-176.
Zellweger, Rodolphe, « Guillaume Tell vu par les Neuchâtelois », Musée neuchâtelois, 1977, pp. 1-22.