Installée dans le vallon de la Serrière depuis 1826, l’entreprise chocolatière Suchard se soucie rapidement d’offrir à ses ouvriers des logements à proximité des fabriques. A la fin du 19e siècle, afin de répondre à une pénurie de logements et à une forte augmentation des loyers, un projet de cité ouvrière voit le jour. Entre 1886 et 1908, seize maisons locatives sont construites le long des rives du lac, au sud-est du village de Serrières, par les architectes William Mayor et Eugène Colomb. Suchard peut ainsi proposer à certains de ses ouvriers un logement salubre et bon marché.
Le photographe s’est posté à l’est, le long du rivage, pour embrasser l’ensemble des maisonnettes de la Cité Suchard. Les bâtiments abritent deux logements de quatre ou six chambres chacun. Les constructions plus larges comportent cinq logements de trois pièces. Au centre émerge la tourelle de la maison dite « du contremaitre ». Devant chaque maison, un petit jardin clôturé donne sur le lac. Les premiers remblais, facilités par la baisse du niveau du lac consécutive à la première correction des eaux du Jura, sont élevés devant la Cité Suchard. Ils vont permettre la construction, entre 1890 et 1892, d’une route de transit et d’une ligne de chemin de fer régional.
La Cité Suchard est révélatrice de la politique sociale de l’entreprise. Carl Russ, alors à la tête de l’établissement, gère Suchard sur le mode du paternalisme. Si les logements ouvriers offrent un certain confort, le patron exerce en contrepartie un contrôle étroit du mode de vie de ses employés, sur le plan de l’hygiène comme sur celui de la morale. Tout en visant à préserver la cellule familiale dans un but philanthropique, le paternalisme cherche aussi à augmenter la productivité en protégeant la santé des travailleurs et à fidéliser les employés pour désamorcer les idées syndicales et les grèves éventuelles. Largement publicisée, la Cité Suchard a contribuée à construire l’image d’une fabrique modèle.
Schmid, Olivier, « « Une fabrique modèle » : paternalisme et attitudes ouvrières dans une entreprise neuchâteloise de chocolat: Suchard (1870-1930) », Cahiers d’histoire du mouvement ouvrier, No 15 (1999), pp. 51-69.
Jequier, François, « Fondements éthiques et réalisations pratiques de patrons paternalistes en Suisse romande », in : Liberalism and Paternalism in the 19th century, Leuven : University Press, 1990.
Callet-Molin, Vincent, « La Cité Suchard, un symbole du paternalisme », in : Le monde selon Suchard, Neuchâtel : Musée d’art et d’histoire, 2009, p. 33.