En vue de préparer l’illustration destinée aux Tableaux de la Suisse de Laborde et Zurlauben, Le Barbier ainsi que d’autres artistes étaient venus en Suisse avec un mandat officiel en 1776, accompagnés par Laborde. Parmi les 77 estampes qui portent sa signature, quatre se rapportent au Val-de-Travers : une « Vue du Village de Moutiers-Travers », une « Vue de Couvet », une « Vue du Moulin de Noiraigue » et la présente représentation qui sera gravée par Marin Fessard comme planche N°10 [haut] parue en 1777-1778.
Comme en informent les éditeurs, après janvier 1778, « Plusieurs de Messieurs les Souscripteurs s’étant plaints que l’Estampe où est représentée la Maison du Philosophe de Genève ne donnoit aucune idée du pays où elle est située, on a saisi cette occasion de faire une chose qui leur fût agréable, en faisant graver un Desssin de M. Châtelet qui ne laisse rien à désirer à ce sujet. ». Ce supplément correspond sans conteste à la gravure N°84 « III.E VUE DU VILLAGE DE MOUTIERS-TRAVERS, avec la maison de J.J. Rousseau, et la Chute du Torrent qui est dans les environs » de Châtelet / Godefroy, illustration fantaisiste où, afin de montrer la galerie dans l’alignement de la rue, on n’a pas hésité à tourner le bâtiment de 90° dans le sens anti-horaire alors que seule eût dû figurer la façade orientale avec son toit à deux pans.
[Commentaire: les s longs des citations ont été modifiés en s final pour cause de codage]
Le dessinateur a imaginé, au premier plan, un philosophe en habit à la française coiffé d’un tricorne au lieu de son « manteau arménien », revivant une scène de l’Emile, scène de surcroît apocryphe, Jean-Jacques ayant quitté les lieux depuis le 8 septembre 1765 ! Dans un cartouche est précisé : « ce Philosophe propose des Gâteaux à / des Enfans pour prix De La Course. Emile Tome. I. » Par ce subterfuge, rapporté au Livre II de l’Emile, « Il s’agissait d’exercer à la course un enfant indolent et paresseux, qui ne se portait pas de lui-même à cet exercice ni à aucun autre, quoiqu’on le destinât à l’état militaire ». (OC IV : 393)
Malgré l’apparence gothique tardif de la façade orientale, l’aspect du logis à un seul étage – beaucoup trop carré –, et la forte pente de la toiture – d’environ 40° au lieu de 30° – s’éloignent de la forme caractéristique des maisons de la région. De plus, l’arête du toit de la maison contiguë – parallèle alors qu’elle devrait être perpendiculaire – représente une aberration climatique, les hivers précoces et rigoureux s’accompagnant d’abondantes précipitations de neige. Tous ces indices font douter que Le Barbier ait réalisé son dessin sur place et soupçonner qu’il pourrait s’être inspiré d’une autre esquisse en inventant la bâtisse mitoyenne … Abondamment reprise sous diverses formes, cette vue inexacte continue à perturber toutes les représentations ultérieures jusqu’à maintenant.
[Commentaire: Cette notice est à comparer avec celle à propos de l’unique représentation authentique intitulée « L’asile offert par l’amitié » tel que Rousseau l’a connu, référence XMBT]
BOSCHUNG Bernard et BUJARD Jacques. 2012. La maison Rousseau et le Petit-Clos à Môtiers restitués par l’archéologie du bâti. Revue historique neuchâteloise, n° 3-4 : 161-192.
KAEHR Roland. 2011. Un document iconographique exceptionnel : le lavis original de Le Barbier. Bulletin de l’AJJR (Neuchâtel) N°71 : 30-32 (1 ill.).