La communauté israélite de La Chaux-de-Fonds fut officiellement fondée en 1833. Elle était alors composée principalement de Juifs venus d’Alsace dans le premier tiers du 19e siècle. Cette communauté, dont plusieurs de ses membres ont été naturalisés avant la Première guerre mondiale, joua un rôle prépondérant dans le développement de la ville, au plan économique, culturel, associatif et politique. A la fin du 19e siècle, alors que l’industrie horlogère connaissait un essor important, la tolérance allait croissant envers la communauté juive, à la tête de laquelle se trouvait dès 1888 le rabbin Jules Wolff. La construction de la synagogue, l’une des plus vastes de Suisse, en 1896 en est un signe.
« Cent familles » dresse un portait de la communauté juive chaux-de-fonnière au milieu des années trente. Les très nombreux intertitres (fait assez rare dans les films amateurs pour qu’on le relève) contiennent bon nombre d’allusions que seuls les intéressés pouvaient comprendre. Par exemple, la « Schule » est le terme argotique pour désigner la synagogue. Le cinéaste, Marcel Bloch, longtemps confondu avec un homonyme patron horloger, tenait le magasin « Au Bon génie », sis à l’Avenue Léopold-Robert 36. La famille Bloch louait, au-dessus du magasin, les locaux du « Nouveau cercle », où l’on voit plusieurs hommes jouer aux cartes. Grâce aux témoignages de membres actuels de la communauté israélite de La Chaux-de-Fonds, la plupart des personnes apparaissant dans le film a pu être identifiée.
Nous ne connaissons pas d’autres films réalisés par Marcel Bloch, commerçant. Comme bon nombre de cinéastes amateurs, il filma probablement avant tout sa famille et ses loisirs. C’est d’ailleurs le côté « familial » de « Cent familles » qui en fait un témoignage exceptionnel sur la vie d’une communauté, ses codes et les personnalités qui la composent. Rappelons que bien souvent, les amateurs réalisèrent des images qui constituent le seul témoignage filmique conservé sur un évènement (voir notamment le film sur le cyclone de 1926) ou une collectivité.
En 1888, la communauté se présente, dans une lettre à son futur rabbin Jules Wolff, comme «composée d’environ cent familles ayant une situation matérielle et morale relativement très bonne en raison du nombre». En 1900, les Israélites chaux-de-fonniers sont au nombre de 914; trente ans plus tard, ils ne sont plus que 589. La Première guerre mondiale et la Révolution d’octobre 1917 ont créé une rupture. Toutefois, les membres de la communauté continuèrent de participer activement à la vie de la cité (en 1923, le fabricant d’horlogerie André Gutmann préside le Conseil général). A l’instar du rabbin Jules Wolff (1862-1955), la majorité des membres de la communauté était peu favorable au sionisme.
La focalisation sur la «question juive» qui caractérisa les années trente se traduisit notamment par le recul des naturalisations, rendus moins aisées par les autorités locales. Les «Jeunesses nationales», fondées en 1934, invitèrent le chef de l’Union nationale, Georges Oltramare (1896-1960), à prendre la parole à l’Astoria le 24 octobre 1936. Il se peut que, par le tournage de ce film, Marcel Bloch ait souhaité conserver une trace d’une époque en passe d’être révolue, reflétant ainsi la conscience de la menace planant sur sa communauté.
Joseph, Aude, Neuchâtel, un canton en images : Filmographie tome 1 (1900 – 1950), Hauterive, Gilles Attinger, 2008 , p. 150-151.
Bibliothèque de la Ville de la Chaux-de-Fonds, Filmographie neuchâteloise en ligne.
Perrenoud, Marc, « Un rabbin dans la cité: Jules Wolff, l’antisémitisme et l’intégration des Juifs à La Chaux-de-Fonds », in Musée neuchâtelois, 1989, pp. 13-51.
Perrenoud, Marc, « Problèmes d’intégration et de naturalisation des Juifs dans le canton de Neuchâtel (1871-1955) », in: Devenir suisse: adhésion et diversité culturelle des étrangers en Suisse, sous la dir. de Pierre Centlivres, Genève, Georg, 1990, pp. 63-94.