A la fin du 19e siècle, les deux principales forces politiques du canton de Neuchâtel, les radicaux et les libéraux, doivent faire face à la montée des socialistes. Ces derniers entrent au Grand Conseil en 1889 en obtenant 16 sièges. Sous l’impulsion notamment du docteur Pierre Coullery, les socialistes s’organisent en créant la section romande du Parti du Grütli. La gauche, très active dans les Montagnes neuchâteloises, s’exprime à travers La sentinelle, organe socialiste dès 1890. Au début du 20e siècle, les socialistes sont une force politique nouvelle avec laquelle il faut désormais compter.
Si cette montre n’offre techniquement rien de particulier (échappement à ancre, balancier à vis, spiral plat et mise à l’heure à poussette), son décor est en revanche plus original. Le boitier en métal argenté est gravé d’une scène symbolisant les principes socialistes. Au centre, une allégorie de la Justice sociale tient dans une main un rameau d’olivier, symbole de paix, et dans l’autre une équerre équilatérale représentant l’égalité. Elle unit les travailleurs représentés ici par un forgeron (à côté de sa forge, devant une usine) et un mineur (tenant une pioche, à côté d’un wagonnet et de l’entrée de la mine). A leurs pieds, une chaîne et une épée brisée symbolisent le socialisme libérant de la servitude sociale et portant la paix. Les deux inscriptions sonnent comme un manifeste : « Travailleurs de tous les pays, unissez-vous pour défendre vos droits » et « Nous voulons 8 heures pour travailler, 8 heures pour nous instruire, 8 heures pour nous reposer ».
En se démocratisant, la montre se spécialise en visant certaines catégories spécifiques de la société. Le « chronomètre du travailleur » pourrait avoir été inventé par Camille Calame de Bienne, avant d’être commercialisé dès 1902 par Joseph Hess, commissaire en horlogerie à La Chaux-de-Fonds. Le modèle semble connaitre un certain succès, puisque la Revue internationale d’horlogerie signale dès 1904 de nouveaux décors gravés, ainsi que des modèles en italien, allemand et anglais. Cela signale une nouvelle attention accordée au travailleur et à ses revendications. Mais si cette montre reprend les thèmes de la lutte ouvrière, sa qualité courante la distingue de la montre Roskopf, que sa fabrication bon marché mettait à la portée de toutes les bourses.
Cardinal, Catherine, Piguet, Jean-Michel, Catalogue d’œuvres choisies, La Chaux-de-Fonds : Institut l’homme et le temps, 1999, pp. 252-253.
Dossier documentaire, Musée international d’horlogerie de La Chaux-de-Fonds.